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Comment un visa pour Curaçao a permis de sauver des milliers de juifs

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L’écrivain néerlandais Jan Brokken parle de son livre “Les Justes”, paru en français aux éditions Noir sur Blanc / Tout un monde / 8 min. / le 12 septembre 2023

Consul honoraire des Pays-Bas en Lituanie en 1940, Jan Zwartendijk a délivré de nombreux visas aux communautés juives pour la colonie néerlandaise de Curaçao. Présent début septembre au Livre sur les quais à Morges, l’écrivain Jan Brokken lui a rendu hommage dans “Les Justes”, paru récemment en français aux éditions Noir sur Blanc.

Europe, 1940: l’Allemagne nazie déferle sur le continent. Les frontières se ferment et les communautés juives, particulièrement visées, sont prises au piège. Dans ce climat de catastrophe imminente, des personnes courageuses leur viennent en aide.

Parmi elles, Jan Zwartendijk, que rien ne prédisposait au rôle qu’il allait tenir. Ce père de famille est alors directeur des usines de l’entreprise hollandaise Philips à Kaunas, en Lituanie. Agé de 43 ans, du fait de l’occupation de son pays par l’Allemagne, il est nommé consul honoraire des Pays-Bas en Lituanie du 19 juin 1940 à l’annexion du pays balte par l’Union soviétique en août de la même année.

“Deux ou trois passeports”

Cette nouvelle fonction permet à Jan Zwartendijk de trouver une issue pour de nombreux juifs, d’abord néerlandais, puis essentiellement polonais – dont au moins 30’000 ont fui en Lituanie -, en délivrant des visas pour Curaçao, une colonie hollandaise des Antilles. Outrepassant la procédure officielle, mais avec l’aval de son supérieur, l’ambassadeur des Pays-Bas en Lettonie, il signe une déclaration selon laquelle la colonie n’exigeait pas de visa d’entrée.

“Au début, il se disait qu’il allait délivrer peut-être deux ou trois visas. Mais le lendemain, il y avait déjà cent personnes devant sa porte, et à la fin de la semaine un peu plus de 1000. Finalement, il a délivré 2131 permis. Sur un visa, pouvaient voyager: l’homme, la femme et les enfants jusqu’à 21 ans”, explique le biographe Jan Brokken dans l’émission Tout un monde.

Une fois le précieux sésame en poche, le plus dur restait à venir pour les juifs coincés en Lituanie et qui devaient se rendre jusqu’aux Caraïbes. “Jan Zwartendijk a trouvé pour eux une manière de fuir par le Transsibérien vers Vladivostok, avant de prendre un bateau vers le Japon et transiter plus loin. Ça a fonctionné”, détaille Jan Brokken.

Ce voyage risqué à travers l’URSS n’aurait pas été possible sans le concours d’un autre “Juste”, le consul du Japon en Lituanie Chiune Sugihara, qui va – contre les ordres de ses supérieurs – délivrer des visas de transit pour le Japon, une condition nécessaire pour que Moscou accorde un droit de passage à travers son territoire.

Humaniste et visionnaire

Mais qu’est-ce qui a poussé ces deux diplomates à Kaunas à outrepasser leurs prérogatives? Cette question est au centre de l’enquête menée par Jan Brokken, lequel s’est longuement entretenu avec Edith, la fille de Jan Zwartendijk. Selon elle, son père avait peur comme tout le monde à l’époque, mais la haine et la violence étaient si proches qu’il a cessé de détourner le regard et se chercher des excuses.

Si je n’aide pas ces gens, ils vont mourir, c’est certain!

Jan Zwartendjik, ancien consul des Pays-Bas en Lituanie

“Beaucoup d’autres diplomates ont dit qu’il leur était impossible de délivrer des visas. Jan Zwartendijk était simplement humaniste. Quand tous ces réfugiés juifs étaient devant sa porte, il a dit à sa femme et ses enfants: ‘Si je n’aide pas ces gens, ils vont mourir, c’est certain!'”, rapporte Jan Brokken au micro de la RTS.

Avant beaucoup d’autres, Jan Zwartendijk avait cette certitude prémonitoire de la catastrophe qui allait s’abattre sur l’Europe. “En juillet et en août 1940, personne n’avait entendu parler des camps de concentration. Lui a vu ce danger, car il connaissait bien l’Europe de l’est et les communautés juives après avoir travaillé à Prague. Ensuite en 1932, il a été nommé à Hambourg. Là, il a vu la montée du nazisme. Il savait que ce que Hitler racontait sur les juifs n’était pas de la démagogie.”

Du blâme… à la reconnaissance

Cette conscience du danger a permis à l’homme d’affaires néerlandais de sauver des milliers de juifs dans la plus grande discrétion. Mais après la Deuxième Guerre mondiale, ce n’est pas la reconnaissance officielle qui l’attend…

“En 1964, Jan Zwartendijk a reçu un blâme officiel du Ministère des Affaires étrangères parce qu’il n’avait pas suivi les règles”, indique Jan Brokken. “A ce moment, on savait pourtant que plus de six millions de juifs étaient morts dans les camps de concentration. Ceux qui n’ont pas agi n’ont pas été punis. Lui a montré son courage et a été puni. C’est horrible.”

La publication du livre “Les Justes” en 2018 a fait l’effet d’une bombe aux Pays-Bas. Des parlementaires néerlandais ont rapidement demandé au Premier ministre et au roi d’accorder la plus haute distinction nationale à Jan Zwartendijk, à titre posthume, 49 ans après sa mort.

Son acolyte en 1940, le consul japonais Chiune Sugihara subira un sort presque identique. En 1947, il est renvoyé du corps diplomatique pour ses actes. “Il n’avait plus d’argent et a dû faire des petits boulots. C’était la pauvreté pour lui et sa famille”, précise Jan Brokken.

En 1984, le Mémorial Yad Vashem reconnaîtra Chiune Sugihara comme “Juste parmi les nations”, plus de dix ans avant la reconnaissance de Jan Zwartendijk.

Propos recueillis par Patrick Chaboudez

Adaptation web: Jérémie Favre

Publié 

Qu’est-il advenu des juifs ayant obtenu un visa pour Curaçao?

De son vivant, Jan Zwartendijk n’a jamais su ce qu’étaient devenues les personnes auxquelles il avait délivré un visa pour les Caraïbes. Cette interrogation l’a rongé pendant les dernières années de sa vie.

“C’était devenu un traumatisme pour lui. Il n’avait rien entendu par la suite et il pensait que peut-être son opération avait raté. Il se disait: ‘J’ai peut-être envoyé des gens à la mort'”, relève Jan Brokken.

Pour lever les doutes, la famille de celui qui a été désigné en 1997 comme “Juste parmi les nations” par le Mémorial Yad Vashem a demandé au Centre Simon Wisenthal de Vienne et au centre de l’Holocauste à Jérusalem de faire des recherches afin de savoir s’il y avait des survivants liés à leur père.

Le résultat est arrivé deux jours trop tard pour Jan Zwartendijk. “Le 16 septembre, le jour de son enterrement, il a reçu une lettre de Jérusalem pour lui indiquer qu’au moins 95% des juifs avec un visa pour Curaçao ont survécu à la Deuxième Guerre mondiale. S’il avait su cela une semaine avant, il aurait pu mourir en paix”, narre encore son biographe.

Et Jan Brokken de conclure: “Le plus beau dans cette histoire, c’est que cet homme ne voulait pas être un héros. Il ne voulait pas être important. C’était un héros silencieux, et ce sont les meilleurs.”

Source :  https://www.rts.ch/


 

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