Emballement identitaire : après l’affaire Évian, l’affaire Banania ?
La militante décoloniale Rokhaya Diallo accuse la militante universaliste Rachel Khan de trahir la cause antiraciste… L’antagonisme entre décoloniaux et universalistes résumé en un tweet.
Par Clément PétreaultN’existerait-il en France qu’une seule et bonne manière d’être noir ? Faut-il forcément considérer la société comme structurellement raciste et coloniale dès lors que l’on ne se définit pas comme « blanc » ? Peut-on se dire antiraciste et se révéler allergique à des points de vue divergents ? Voilà quelques-unes des nombreuses interrogations que suggère l’étonnant message envoyé hier par la journaliste et militante Rockaya Diallo à la responsable de la Licra, Rachel Khan, par tweets interposés…
« Tant qu’on les caresse dans le sens du poil et qu’on chante les louanges de la France, ils nous adorent », a écrit Rockaya Diallo en réaction à une intervention de Rachel Khan sur la chaîne CNews, le tout accompagné d’une photo de publicité Banania. Devant les réactions suscitées par son message, Rockaya Diallo a précisé qu’il s’agissait d’un « simple constat » : « Pour enchanter certains plateaux TV, il vaut mieux s’abstenir de critiquer la France ou de dénoncer le racisme. Ces postures lisses et dociles sont révélatrices d’un paternalisme colonial. Voilà tout. »
Message à peine subliminal
En utilisant l’image de la publicité Banania, Rockaya Diallo fait passer un message à peine subliminal : parce qu’elle ne critique pas la France ou ne dénonce pas « l’islamophobie » ou le racisme d’État sur les plateaux TV, Rachel Khan ne saurait prétendre incarner le combat antiraciste et se rangerait sous la posture d’un « nègre de maison », qui, selon la définition donnée par Wikitionnaire, désigne « une personne noire aux idées qui sont en opposition au bien-être de sa communauté ou qui légitime les positions des groupes dominants ».
Le fait que Rachel Khan ait publié le mois dernier Racée (éditions de l’Observatoire), dans lequel elle dénonce l’approche intersectionnelle de militantes afro-féministes (« un point Godwin pour des militantes à court d’arguments », écrit-elle), n’est probablement pas étranger à cette attaque…Universalistes contre décoloniaux
Ce débat en forme de clash sur Twitter résume à lui seul les antagonismes qui ne cessent de s’exacerber entre un antiracisme « universaliste » et un antiracisme dit « politique » ou « décolonial », que l’on pourrait résumer à grands traits en une opposition entre républicains et communautaristes. Entre ces deux antiracismes, il ne s’agit pas d’une différence de degré, mais bien de nature : l’antiracisme universaliste défend l’idée que le racisme peut traverser tous les groupes sociaux (n’importe qui peut se révéler raciste), alors que l’antiracisme décolonial considère le racisme comme l’expression d’une domination d’un groupe sociopolitique sur des personnes marginalisées (seuls les Blancs peuvent être racistes). De ces deux approches découlent des pratiques militantes très différentes.
Depuis qu’elle porte les couleurs de la Licra sur les plateaux télé pour défendre une approche universaliste de l’antiracisme, Rachel Khan est vivement attaquée par le camp décolonial, qui avait réussi à imposer une certaine hégémonie dans le discours antiraciste en France ces dernières années. Alors que les manifestations d’une dérive identitaire d’une partie de la gauche se multiplient, le camp antiraciste ne cesse de se fissurer. Au moins les enjeux sont-ils désormais identifiés.
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