Audition de CNews : comme un invraisemblable parfum de procès de Moscou à l’Assemblée nationale | Atlantico.fr
PLURALISME DANS LES MÉDIAS
Audition de CNews : comme un invraisemblable parfum de procès de Moscou à l’Assemblée nationale
Dans le cadre de la Commission d’enquête sur l’attribution des fréquences de la télévision numérique terrestre, des journalistes de CNews et les dirigeants du groupe Canal+, ont été auditionnés ce jeudi au Palais Bourbon.
Céline Pina et Maxime Tandonnet
Audition de CNews : comme un invraisemblable parfum de procès de Moscou à l’Assemblée nationale
avec Céline Pina et Maxime Tandonnet
Atlantico : Ce jeudi 29 février, Maxime Saada ainsi que plusieurs figures de CNews, dont Pascal Praud, Laurence Ferrari, Serge Nedjar et Sonia Mabrouk ont été entendus à l’Assemblée nationale lors d’une commission d’enquête. Quels sont les principaux enseignements de cette journée d’audition ?
Céline Pina : Que le Conseil d’Etat a ouvert une boîte de Pandore qui n’est pas prête de se refermer et qui récèle bien des dangers pour l’avenir de la démocratie. Vouloir faire la police de la pensée finit toujours en procès de Moscou, on en a eu la preuve lors de cette commission d’enquête.
On dit qu’il vaut mieux vivre en théorie, parce qu’en théorie tout se passe bien. C’est quand on passe au cas pratique que cela se gâte. A vouloir porter le coup de grâce à CNews, LFI et l’Assemblée nationale se sont ridiculisés. Pour LFI on a l’habitude, mais l’Assemblée est un garant de notre système démocratique, qu’elle devienne un lieu d’exercice d’une forme d’inquisition devrait nous inquiéter. Une fois de plus, à cette occasion, LFI a montré sa dimension violente et totalitaire. A l’origine de cette commission d’enquête, c’est eux qui lui ont donné ces allures inquisitoriales. Mais l’agressivité ne remplace pas le talent et ce à quoi on a assisté était une démonstration de dogmatisme idéologique, mâtinée de mépris pour les personnes. L’impolitesse et la morgue de LFI n’ont échappé à personne, leurs méthodes et leurs intimidations non plus. Le contraste était frappant entre le positionnement respectueux et dignes des représentants de CNews et celui agressif et déshumanisant des députés LFI. On a en effet assisté à un procès de Moscou, avec dans le rôle des commissaires politiques, les députés insoumis. Ceux-ci ont souvent dérapé, interrogeant les représentants de CNews sur leurs opinions personnelles, exerçant une véritable police de la pensée.
Or tout le raisonnement visant à faire un procès à CNews leur reprochant de ne pas inviter suffisamment de gens de gauche sombre dans le ridicule quand dans le même temps, ces mêmes députés insoumis et une partie de la gauche boycottent les médias qu’ils jugent impurs. A la fin, ces gens demandent que l’on élimine un média dans lequel ils ne sont pas assez représentés alors qu’en refusant d’y aller, ils organisent eux-mêmes le refus du pluralisme. Ce sont eux et non CNews qui font en sorte de rendre le pluralisme impossible et qui ensuite, au nom de cette impossibilité, réclament la suppression de ceux qu’ils considèrent comme des ennemis. Pour mieux tuer son chien, on dit qu’il a la rage, LFI vient parfaitement d’illustrer cet adage. Sachant que leur notion de l’impureté commence au refus de partager leurs obsessions, le champs de l’illégitime ne cesse de s’étendre, rendant la perspective de la multiplication des procès de Moscou extrêmement crédible.
Le problème est que ces mises-en-scène choquantes et indignes d’une démocratie ont eu lieu au sein même d’une des institutions les plus fondamentales pour notre vie démocratique, l’Assemblée nationale. Et qu’elles sont la conséquence de la faillite du Conseil d’Etat qui pour régler ses comptes idéologiques n’a pas hésité à relancer de fait la censure et le délit d’opinion. Au Parlement, lieu d’exercice des libertés démocratiques, on a vu des représentants de la Nation incapables de conserver la moindre tenue, instrumentalisant l’intérêt général pour servir leurs intérêts partisans, mettant en avant le pluralisme pour exercer une police de la pensée qui s’en prend autant aux idées qu’à ceux qui les portent. Ce spectacle désastreux est représentatif d’une gauche qui a oublié sa dimension républicaine et démocratique et qui renoue avec ses vieux démons totalitaires.
Maxime Tandonnet : Cette commission est un spectacle hallucinant qui donne une impression d’Etat totalitaire. Car la démocratie repose sur la séparation des pouvoirs, et la presse, qu’elle soit radio ou télévision est bien un quatrième pouvoir. La démocratie est inconcevable sans une presse et des médias indépendants des autres pouvoir, législatif, exécutif et judiciaire. Nous avons en France une tradition de service public très puissant de la radio-télévision avec France Inter, France 2 et France 3. Ce service public est lui dépendant de l’Etat.
Mais à côté, des chaînes privées qui sont, elles, indépendantes. Les radios libres – et donc télévisions libres – ont été instaurées par François Mitterrand en 1981. Auparavant, il existait un monopole de l’Etat sur les ondes. Le principe même est que ces radios et télévisions sont libres dans leur expression. Est-ce cet acquis, qu’il faut bien le reconnaître, nous devons à François Mitterrand en 1981, que l’on veut remettre en cause ? Ce serait un incroyable recul sur le plan des libertés – un de plus.
Quels moments vous ont marqué et pourquoi ?
Maxime Tandonnet : Aurélien Saintoul (me semble-t-il) s’est moqué de Laurence Ferrari en parlant de son « blabla ». On se demande où sont passés les féministes à cette occasion ! Vous imaginez si une journaliste présumée de gauche avait été traitée ainsi par des parlementaires de droite ou du RN ? Quoi de plus sexiste que l’accusation de « blabla » adressée à une journaliste ?
L’impression qui est donnée est bien celle d’une sorte de procès de Moscou contre une chaîne indépendante. Ce n’est pas à un député de persécuter ainsi publiquement une journaliste en essayant de la ridiculiser. La scène est sidérante, dépasse toute imagination. C’est un procès politique, idéologique.
Ce qui est reproché porte sur le contenu de l’information et des commentaires diffusés sur CNews. Sur un ton digne du temps des commissaires politiques. Il est évident que la tonalité de la chaîne est davantage marquée à droite que LCI, BFMTV et les chaînes publiques. Et que cette tonalité rencontre un succès chez les téléspectateurs qui ne se reconnaissent pas ou moins dans les autres chaînes jugées exagérément stéréotypées. Le succès de CNews est le produit du conformisme et de la pensée unique qui règnent ailleurs. Mais il est aussi évident que, par le contenu de l’information et la personnalité de ses invités, CNews n’est pas plus à droite que France Inter n’est à gauche.
Au fond, ce qui est inadmissible aux yeux des censeurs c’est qu’il existe une chaîne qui s’éloigne de la pensée unique ou du politiquement correct et se permet de poser des questions qui dérangent. Car enfin, nul n’est obligé d’écouter CNews. Si le ton de la chaîne déplaît, on peut tout aussi bien zapper sur LCI ou BFMTV. C’est la liberté de ton, au regard de la pensée unique qui indigne nos censeurs. Qu’est-ce que cette commission d’enquête ? Nous voyons Pascal Praud et Laurence Ferrari traités comme des délinquants face à un tribunal. On est en plein cauchemar.
Céline Pina : Quentin Bataillon, le président Renaissance de la commission d’enquête parlementaire a dû à de nombreuses reprises rappeler à l’ordre Aurélien Saintoul. Le rapporteur de la commission se prend en effet pour Fouquier-Tinville et se comporte comme un véritable procureur général. L’homme ne comprend pas qu’il n’est pas commissaire politique sous le régime stalinien et sombre dans l’attaque personnelle régulièrement. Aymeric Caron n’est pas non plus en reste.
Un exemple illustre à merveille les dérapages des députés LFI de la commission. Aurélien Saintoul apostrophe ainsi un responsable de CNews : « Condamnez-vous l’assassinat des journalistes palestiniens et condamnez-vous la censure opérée par le gouvernement israëlien ». La réponse est de bon sens : « Je condamne la mort de n’importe quel être humain, de quel côté qu’il soit. » Le Président de la commission est alors obligé de rappeler à son rapporteur qu’il n’est pas là pour peser les âmes des personnes auditionnées dans une forme de jugement dernier de la respectabilité. Il lui signale donc que « demander à un auditionné de faire une condamnation à titre personnel ne répond pas à l’objet de cette enquête ».
Les députés LFI ont raté leur coup car leurs excès et leur agressivité les ont décrédibilisés alors qu’ils avaient un boulevard devant eux avec l’affaire de l’infographie sur l’IVG diffusée dans l’émission « En quête d’esprit » et qui faisait de l’IVG la « première cause de mortalité dans le monde ». Même si la direction de la chaîne s’était excusée et que Laurence Ferrari avait affirmé avec force et conviction l’importance pour la femme que ce droit soit sanctuarisé, le bad buzz aurait dû servir la cause des détracteurs de CNews. Hélas, là où la chaîne n’a eu aucun mal à reconnaitre son erreur et à faire son autocritique, les députés LFI, eux n’apprennent rien de leurs erreurs et de leurs débordements.
Il fallut notamment calmer les députés insoumis, déterminés à faire le procès d’Israël et à ériger la Palestine en sujet central de cette audition. Les mêmes se moquant allégrement des morts du Yémen, du Soudan, des persécution des Ouïghours, des Arméniens… Ne les intéressent que les morts qui permettent de faire le procès d’Israël et de faire passer les Juifs pour les nouveaux nazis. Quel rapport avec CNews ? Aucun. Il se trouve que les bulletins d’information évoquent le conflit et que si un dirigeant ne peut dire le nombre de morts palestiniens, il se trouve qu’aucune information fiable n’est disponible. Les seuls chiffres connus émanent du Hamas, peu fiable, ou des évaluation d’ONG souvent très proches du mouvement terroriste ou des Américains qui s’abreuvent à ces sources frelatées. Les 30 000 morts qu’évoque Libération sur sa couverture et que brandit hystériquement Aymeric Caron sont peut-être une évaluation exacte, peut-être pas, mais en tout cas pas une information fiable vérifiée et recoupée à l’heure actuelle. Mais à LFI tout doit permettre de mettre en accusation ses cibles, de les déshumaniser, de les accuser d’indifférence à la souffrance d’autrui. Le but ? Certainement pas de monter en crédibilité, ni même de cibler véritablement CNews. Ce positionnement et la visibilité que donne l’absence de tenue des députés insoumis leur permet des coups d’éclat sur les réseaux sociaux. Cela alimente le clientélisme arabo-musulman qui est leur seul viatique et leur seul projet. Faute de discours pour la nation et de vision d’avenir, la logique tribale et clientéliste peut asseoir un pouvoir. LFI fait donc feu de tout bois pour que son message parvienne à ses cibles. La Palestine fait monter la haine entre les communautés, elle est utilisée comme un outil de radicalisation des jeunes Musulmans, elle concourt à l’explosion de l’antisémitisme et aux agressions des personnes juives, mais pour LFI cela importe peu, car son soutien inconditionnel est celui qu’attend sa clientèle. La commission d’enquête a ainsi servi à montrer qui défendait le mieux les intérêts communautaristes. Dans les quartiers dits « sensibles », le message a été reçu. La commission d’enquête s’est transformée en théâtre politique dont CNews était le prétexte, la parade LFI à laquelle on a assisté était dégradante pour qui a une haute vision des exigences de la fonction de député, mais eu égard aux cibles visées par LFI, ce cirque a pu séduire une partie des musulmans, les islamistes et leurs alliés de gauche.
Le parlement a des missions de contrôle que personne ne remet en cause, dans ce cas précis, diriez-vous que c’est le principe même de cette commission qui est inapproprié ou la manière dont ses travaux ont été menés par certains de ses membres ?
Maxime Tandonnet : Il y a déjà un problème de fond. Le principe même de cette commission porte atteinte à la liberté d’expression pour la radio et la télévision. Le fait que cette question ne soit pas seulement technique mais qu’elle prenne une dimension politique et idéologique pose problème. Elle ne devrait pas porter sur le contenu de l’information donnée par les journalistes. Cela remet en cause la liberté d’expression.
C’est dans le cadre de l’attribution des fréquences TNT pour l’année 2025 que des dirigeants du groupe Canal et des animateurs de CNews sont interrogés par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale. Or cette audition a pris des allures de procès politique. L’un des moments les plus surréalistes fut l’interrogatoire sur un ton accusatoire des journalistes de CNews pour le traitement par cette chaîne de la situation en Israël. En quoi cela regarde-t-il des députés ayant revêtu la robe de l’inquisition politique ?
Dès lors qu’il existe un média indépendant de l’Etat, le politique, à travers cette commission d’enquête n’a aucune légitimité pour s’ingérer dans le traitement de l’information par des journalistes. Ou sinon, cela signifie qu’on change de régime ! Quelle impartialité quand France 2 traite des mêmes sujets ? Or, le devoir d’impartialité devrait incomber bien davantage au service public, en partie financé par les contribuables, qu’aux chaînes privées par définition indépendantes de l’Etat.
Il est certes évident que les médias sous le contrôle de Vincent Bolloré offrent une tonalité différente des autres qui n’a rien de fascisante mais ouvre des espaces de non-conformisme et d’expression dite « populiste » qui n’existent plus ailleurs tout en respectant la pluralité des opinions (par exemple avec la participation fréquente de Julien Dray, figure emblématique de SOS racisme et du parti socialiste). C’est cette espace de liberté d’expression que nos censeurs de la commission d’enquête veulent détruire ou refermer au nom du célèbre : « pas de liberté pour les ennemis de la libertés ».Et le danger est réel.
Céline Pina : Cette audition fut désastreuse pour ceux qui l’ont initiée, mais si elle met fin à cette usine à gaz qu’est le jugement du conseil d’Etat, visant à transformer l’Arcom en un commissariat de la pensée, elle peut s’avérer utile. En tout cas elle a permis de montrer concrètement que l’enfer est pavé de « bonnes intentions », en tout cas de positionnements moraux et que le sectarisme emprunte souvent les vêtements de la moralité et de la pureté. Cette illustration par l’exemple a le mérite d’être révélatrice des dérives de la pureté idéologique appliquée au champ du politique. La seule chose que ces rapprochements enfantent est un monstre totalitaire, destructeur de nos libertés. Il peut paraitre plus malin de se servir alors des autorisations administratives pour museler les opinions qui déplaisent mais c’est tuer la démocratie, pour résoudre les contrariétés que suscitent un adversaire. Pas sûr que le choix soit judicieux. Mais surtout, quand un pouvoir est faible, que le socle de ceux qui y adhèrent est minoritaire et que le respect pour ceux qui l’incarnent est tenu, il est risqué de vouloir museler ses adversaires et de tenter de préserver par la voie administrative ce que l’on est en train de perdre par la voie politique. Le risque est de précipiter les basculements.
Ainsi la grande crainte de LFI comme de Renaissance est que les Européennes de cette année et la Présidentielle de 2027 voient la consécration du RN. D’où la tentation de censurer tout ce qui parait s’intéresser aux sujets qui font le succès de ce parti et de la droite en général. Le problème est que si ces sujets fonctionnent et si l’audience augmente, c’est que les téléspectateurs se reconnaissent dans l’image de la chaîne. Et qu’ils sont de plus en plus nombreux. Penser qu’en supprimant le diffuseur des informations et opinions qui dérangent, on fera disparaître le réel qui les a engendrées et les personnes qui se sentent concernées est illusoire et dangereux. La commission d’enquête d’hier vient de l’illustrer.
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