Merci au magazine “Le Point” pour cet excellent interview de la merveilleuse Sophia Aram : « Impossible de se moquer d’un poil de cul de Mélenchon »
ENTRETIEN. Fidèle à l’esprit Charlie, elle est régulièrement attaquée par les Insoumis, qui ne supportent pas son combat pour la laïcité et contre l’islamisme. Rencontre avec une femme libre.
Propos recueillis par Clément Pétreault
Dix ans après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, la liberté d’expression est prise en étau entre revendications identitaires et culture de l’indignation permanente. Dans ce marasme, Sophia Aram agace, clive et divise une gauche engluée dans ses contradictions sur le féminisme, la laïcité et l’islamisme. En dépit des campagnes de harcèlement, rondement menées par les réseaux militants d’extrême gauche en cette période de commémoration d’attentats, Aram persiste et signe : l’humour doit rester offensif. Rencontre avec une artiste en résistance.
Le Point : Le 7 janvier, on a commémoré les 10 ans de la tuerie islamiste contre « Charlie Hebdo » et l’Hyper Cacher. En 2015, vous disiez que la colère vous avait aidée à « arrêter de pleurer ». Vous êtes toujours en colère ?
Sophia Aram : Oui, j’étais en colère contre tous ceux qui estimaient que Charlien’aurait pas dû publier les caricatures et contre ceux qui les accusaient directement ou indirectement d’être « islamophobes ». Je suis toujours en colère contre ceux qui continuent de désigner les islamophobes après Charlie, aprèsSamuel Paty et après Dominique Bernard…
Vous vous produisiez au Palais des Glaces, le 13 novembre 2015. Pendant les attentats. On vous a suggéré de « faire rire les gens » pendant qu’on évacuait les environs. Comment vit-on un tel moment ?
Je ne mesurais pas ce qu’il se passait dehors. J’étais sur scène ; mon compagnon, Benoît, est venu me dire à l’oreille : « Il faut garder le public, ça tire dehors. » Alors, j’ai fait le plus long rappel de ma carrière. Un pompier est venu nous dire de libérer le public. J’ai sauté sur mon téléphone pour appeler mon fils qui devait nous rejoindre à La Bonne Bière, juste en face… Il était désolé d’avoir préféré rester à la maison pour regarder le match ! La semaine suivante, nous avons écrit une chronique pour demander à ceux qui s’interrogeaient sur la « responsabilité » de Charlie s’ils allaient pointer la « responsabilité » de ceux qui buvaient des coups en terrasse. Les jours d’après, j’ai dormi. Beaucoup trop dormi. Je jouais le soir ; le reste du temps, je dormais.
Il ne faut se poser aucune limite, car imposer le respect, c’est imposer le silence.
Pendant quelque temps, vous aviez un gilet pare-balles en coulisses, des policiers en civil dans la salle, et on vous indiquait l’endroit le plus proche où vous cacher en cas de problème… Comment peut-on encore rire et faire rire dans ces conditions ?
La période après le 13 Novembre était un peu particulière. Heureusement, ça n’est pas comme ça tous les jours. J’étais surtout très admirative des spectateurs qui sortaient au spectacle après ce carnage. Je les ai trouvés héroïques, même si j’ai conscience aujourd’hui que rien de tout ça n’est normal, comme il n’est pas normal que l’imam Chalghoumi,Yonathan Arfi, Riss, Philippe Val ou Richard Malka soient contraints de vivre sous protection policière.à lire aussi Procès « Charlie » : « Ces complices intellectuels qui ont du sang sur les mains »
Peut-on faire rire sans froisser personne et en « respectant » son prochain ?
Non, ce n’est pas possible. Pour une raison très simple : il y aura toujours quelqu’un pour placer le respect là où vous n’avez même pas imaginé qu’on puisse en faire un sujet d’offense. Qui pouvait s’attendre à ce qu’un dessin du prophète déclenche une fatwa ? Comment Salman Rushdie pouvait-il prévoir qu’un roman, une fiction n’ayant aucune prétention à concurrencer les enturbannés, ferait l’objet d’une fatwa qui lui coûtera un œil et de vivre reclus une grande partie de son existence ? L’humour bouscule, dérange tous les dogmes et toutes les croyances. Aujourd’hui, expliquez que Didier Raoult est un dangereux guignol, ou qu’il n’y a pas de puce 5G dans les vaccins, et vous aurez toujours un crétin pour venir vous dire qu’il se sent offensé-choqué-blessé-meurtri. Certains vous expliqueront qu’on ne peut pas faire de blague sur un élu par respect pour ses électeurs, d’autres vous diront qu’il faut respecter Raël, Moon ou Mélenchon…
Il y aura toujours quelqu’un pour placer le respect là où vous n’avez même pas imaginé qu’on puisse en faire un sujet d’offense.
Donc, il ne faut se poser aucune limite ?
Non, car imposer le respect, c’est imposer le silence. L’offense et le sacré ne sont pas compatibles avec l’humour, la liberté de penser et le débat d’idées. Vous ne pourrez plus jamais rien dire sur personne si vous partez du principe que le respect est un obstacle à contourner pour faire rire. Chacun a le droit de se sentir meurtri par un propos et de le dire, cela n’empêche pas de défendre le droit d’offenser ou de s’attaquer à n’importe quelle idée, même frontalement, en respectant le cadre légal actuel. Il faut ajouter que la plupart des gens qui se disent offensés par vos propos ne font en réalité que semblant d’être blessés pour essayer de vous empêcher de parler…
Vous vous êtes fâchée avec des amis, depuis le 7 Octobre ?
Le 7 Octobre nous a fait comprendre qu’il n’était plus possible de faire alliance avec des gens qui considèrent le Hamas comme une organisation de résistance, ou qui ont délibérément regardé ailleurs pour ne pas avoir à condamner la barbarie. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à considérer qu’il serait opportun de faire confiance à un parti dont les responsables multiplient les sorties antisémites. Comment s’allier à un Mélenchon qui considère que les Juifs ont tué Jésus, que Dreyfus était « royaliste » ou que Jérôme Guedj serait contraint par ses « attaches », autrement dit par sa judéité ? Quelle différence y a-t-il entre Bernard Langlois – le fondateur de la revue Politis – lorsqu’il parle de Denis « Olivenstein » et Jean-Marie Le Pen désignant Patrick Bruel comme Patrick Benguigui ? Et que dire d’Hadrien Clouet qualifiant Manuel Valls de « Judas » ? Comment s’allier à un Aymeric Caron qui, il y a quelques années déjà, expliquait à Alexandre Arcady qu’un film parlant d’antisémitisme et de l’assassinat d’Ilan Halimi risquait de « faire monter l’islamophobie ». Y a-t-il un racisme plus puant que celui qui considère que condamner le gang des barbares ferait monter l’islamophobie ? Comment peut-il mépriser à ce point les musulmans ?
Vos confrères humoristes sont assez peu confraternels à votre endroit… Guillaume Meurice évoque votre supposé « racisme », Blanche Gardin vous qualifie d’« islamophobe »… Comment en est-on arrivé là ?
Ça a été progressif. Meurice s’est mis à m’attaquer régulièrement en utilisant l’antenne d’Inter, aidé de ses camarades de chambrée qui riaient à ses attaques ou qui renchérissaient, toujours sur le même refrain : je serais de droite, voire d’extrême droite, je serais raciste et islamophobe, j’imiterais Élisabeth Lévy et mes sketchs seraient écrits par Alain Finkielkraut, bref, par des Juifs. Je n’ai jamais compris précisément ce qu’ils avaient contre moi, mis à part le fait qu’il leur était totalement insupportable que je puisse parler trois minutes par semaine à l’antenne, quand eux bénéficiaient de cinq heures d’émissions hebdomadaires. Qu’une fille d’immigrés puisse avoir un autre discours sur « ma religion » que celui qu’ils autorisent, c’étaient sans doute trop pour eux.
Qu’une fille d’immigrés puisse avoir un autre discours sur “ma religion” que celui qu’ils autorisent, c’étaient sans doute trop pour mes détracteurs.
C’est du mépris de classe ?
Je ne pense pas. C’est simplement un énième remake du mythe du « bon sauvage » qui, pour ces petits-bourgeois, doit par nature détester la France, voit son identité réduite à sa religion et serait incapable d’être laïque et de supporter des blagues sur sa religion. Ce « bon sauvage », c’est le nouveau bébé phoque qu’il faudrait protéger.
Faut-il forcément être communautariste et d’extrême gauche pour être considéré comme drôle ?
Globalement, il y a un public pour tout : pour l’humour communautaire, pour mes spectacles, pour du stand-up sur la ménopause ou les animaux de compagnie, ou pour des meetings de Jean-Luc Mélenchon. La question fondamentale est de savoir si l’on peut rire de la gauche avec un public de gauche. Avec un public d’extrême gauche, c’est forcément compliqué, la plupart des militants d’extrême gauche n’ayant aucun humour sur eux-mêmes. Tiens, encore un point commun avec l’extrême droite. On peut se foutre de la gueule du bracelet électronique de Sarkozy, de la main invisible du marché et de l’esprit petit-bourgeois avec des gens de droite. On peut se foutre de Hollande ou de Cazeneuve avec des sociaux-démocrates. En revanche, impossible de se moquer d’un poil de cul de Mélenchon avec des militants d’extrême gauche. Ils fonctionnent comme une secte.
Pourtant, ils vous inspirent…
C’est fou le nombre d’idées de gauche et d’extrême gauche qui font marrer les gens sans même avoir besoin d’ajouter une vanne. Dire que Mélenchon a un bilan et un avenir politique… et la salle éclate de rire ! Il y a, à l’extrême gauche, une capacité à prendre des hallucinations collectives pour des vérités révélées. La première de ces hallucinations prétend que nos social-démocraties seraient « ultralibérales ». Ainsi, le pays qui a le plus fort taux de prélèvements et de redistribution au monde serait aussi libéral que les États-Unis. Affirmez le contraire, et vous vous retrouverez catalogué comme étant à droite de Donald Trump. Avouez qu’ils sont rigolos, quand même.
En tant qu’humoriste professionnelle, c’est quoi, la meilleure vanne de l’extrême gauche ?
J’hésite. L’idée qui prétend que le collectivisme et l’oisiveté seraient l’avenir de l’homme dépasse de justesse l’idée que l’alliance bolivarienne avec le Venezuela, l’Iran, le Nicaragua, la Russie de Poutine et Cuba formerait une alternative crédible à l’alliance transatlantique… Franchement, parfois, je me demande s’ils ne jouent pas les débiles uniquement pour nous faire marrer. Ah si ! J’oubliais l’idée brillante d’Aymeric Caron, qui voulait conditionner le droit de vote à des tests de culture générale… L’inculture et la bêtise de Sébastien Delogu, Louis Boyard et Ersilia Soudais feraient presque passer Nadine Morano pour un Prix Nobel… C’est presque aussi drôle que d’affirmer que, après sept ans à la tête du PS, Olivier Faure aurait des idées pour reconstruire la social-démocratie.
Touchez un poil de barbe d’islamistes comme Elias d’Imzalène ou Hassan Iquioussen, et vous aurez la moitié de La France insoumise qui viendra chialer.
C’est souvent sur le thème de l’islam et de l’islamisme que vous vous accrochez…
Sans concurrence possible, c’est le sujet sur lequel l’extrême gauche est à la fois la plus susceptible et la plus débile. On est ici au cœur de leur stratégie de séduction des « quartiers populaires », leur façon à eux de dire « musulmans ». À l’origine de cette stratégie, il y a l’idée, fausse, que l’islamophobie serait partout et l’antisémitisme nulle part… Si vous résumez le sketch de Blanche Gardin à mon sujet, me décerner un Molière est islamophobe et l’antisémitisme n’existe pas. Pendant ce temps-là, touchez un poil de barbe d’islamistes comme Elias d’Imzalène ou Hassan Iquioussen, des responsables du CCIF, ou de Baraka City, et vous aurez la moitié de La France insoumise qui viendra chialer.
On est dans un pays où un islamiste peut appeler à l’intifada dans les rues de Paris, devant les responsables de LFI qui en sont totalement ravis. Et, pendant ce temps-là, les discours qui présentent le voile comme « un outil d’émancipation », la charia comme « une loi possible », les fatwas comme « des avis juridiques » et le djihad comme « un combat intérieur » se multiplient avec la bénédiction des Insoumis et d’une partie de la gauche. Moi, ça me pose un sérieux problème.
On est dans un pays où un islamiste peut appeler à l’intifada dans les rues de Paris, devant les responsables de LFI qui en sont totalement ravis.
Pourquoi taper autant sur La France insoumise ? C’est devenu votre principale source d’inspiration…
Je tape aussi sur l’extrême droite ! Hélas, la stratégie du RN consiste à en dire le moins possible pendant que la fanfare de La France insoumise débite des inepties à tour de bras. Cette stratégie fonctionne d’autant mieux que, à force de dire n’importe quoi et d’hystériser tous les débats, comme le dit Bernard Cazeneuve, l’extrême gauche fabrique du vote RN en quantités industrielles. L’extrême droite me semble, à court terme, plus dangereuse car plus proche du pouvoir. Ce n’est pas une raison pour accepter que LFI encourage l’antisémitisme et l’islamisme dans les « quartiers populaires ». Une fois qu’ils seront balayés par les urnes, rien de tout cela ne rentrera tout seul dans le tube de dentifrice…
Les discours présentant la charia comme “une loi possible”, les fatwas comme “des avis juridiques” et le djihad comme “un combat intérieur” se multiplient avec la bénédiction des Insoumis
Il n’y a plus d’humoriste capable de faire rire la France entière. Assiste-t-on à un effritement de l’humour en chapelles ?
Globalement, personne ne peut rassembler tout le monde. Il y avait même des gens pour penser que Coluche était vulgaire ! Mais je pense que Florence Foresti, Daniel Morin, Tanguy Pastureau ou Vérino clivent nettement moins que moi. Franchement, je ne le fais pas exprès, mais c’est comme ça. Je choisis les sujets qui me touchent et qui m’animent, et le public y trouve son compte ou non.
Dans votre parcours, il y a ce moment charnière, aux Langues O’, où vous découvrez l’islamisme militant. Racontez-nous.
J’ai découvert le prosélytisme religieux aux Langues O’. Quelques barbus venaient nous voir en nous donnant du « ma sœur » pour nous parler d’islam et nous inviter à assister à des réunions, à faire le ramadan, à porter le voile ou pour nous expliquer que se marier avec un non-musulman serait haram et que coucher en dehors du mariage, ce n’est pas bien. J’ai assisté aux intimidations que subissait notre prof d’islamologie quand des types en treillis venaient se poser au premier rang de l’amphi et la fixaient du regard, façon de dire « toi la non-musulmane qui vas nous raconter l’histoire du prophète, t’as intérêt à ne pas dire de conneries ». Je me souviens qu’elle nous avait raconté ses inquiétudes et ses craintes.
Banaliser l’extrême droite, voilà leur vrai projet, eux qui ne rêvent que d’un affrontement Le Pen-Mélenchon au second tour d’une présidentielle.
Vous êtes régulièrement qualifiée, par vos anciens amis de gauche, sans que l’on sache exactement ce que cela signifie, d’humoriste « d’extrême droite », ou, pire à leurs yeux, d’humoriste « proche du Printemps républicain ». Vous qui les connaissez bien, comment voient-ils le monde ?
Ce glissement sémantique qui consiste à qualifier « d’extrême droite » tous ceux qui ne pensent pas comme eux est assez grotesque. Banaliser l’extrême droite, voilà leur vrai projet, eux qui ne rêvent que d’un affrontement Le Pen-Mélenchon au second tour d’une présidentielle. Il y a un totalitarisme d’extrême droite et un totalitarisme d’extrême gauche. La seule différence, c’est que, pour accéder au pouvoir, l’extrême droite a ripoliné sa façade, alors que l’extrême gauche, qui est parfaitement au courant qu’elle n’y arrivera pas, ne se donne même pas la peine de modérer un tant soit peu son discours. Entraîner dans leur déchéance toute la gauche ne leur pose aucun cas de conscience.
On vous renvoie souvent à vos origines, notamment quand vous critiquez l’islam politique. Est-ce une forme de racisme ?
Je suis fière de ma double culture. Je parle l’arabe, je suis très fière de mes deux langues. Elles font de moi celle que je suis. Mais quand des petits-bourgeois viennent m’expliquer ce que je devrais penser d’un islam rigoriste qu’ils n’auront ni à subir ni à combattre, ça me gonfle. L’insulte raciste « arabe de service », maintenant déclinée en « Aram de service », est une assignation d’un racisme confondant. Taha Bouhafs, autre égérie de l’extrême gauche avec Elias d’Imzalène ou le rappeur Médine, fait partie de ceux qui ont popularisé l’expression. Il s’est d’ailleurs fait condamner pour ça. Ce qui n’empêche pas l’avocat Arié Alimi d’expliquer qu’il s’agirait d’une opinion. Le même Arié Alimi qui opposait le bon « antisémitisme contextuel » de La France insoumise et le mauvais « antisémitisme ontologique » du Rassemblement national… Un peu comme le bon et le mauvais cholestérol. Tous ces gens me dépriment.
L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal ne serait, d’après Sandrine Rousseau, « pas un ange », notamment parce que sa critique de l’islamisme et du totalitarisme servirait les arguments de la droite et de l’extrême droite. Il ne mériterait, pour cette raison, qu’un soutien du bout des lèvres. Comment expliquez-vous cette hémiplégie volontaire ?
C’est très troublant. Un intellectuel franco-algérien est arrêté pour ses idées.On ne devrait pas hésiter un seul instant, et pourtant, elle le salit au moment où il ne peut pas répondre. Si on ne défend que des gens dont on partage les idées, à quoi ça sert d’avoir des principes ? En agissant de la sorte, Sandrine Rousseau démontre qu’elle n’a ni idée ni principe. Il faut continuer de demander la libération de Boualem Sansal, il n’y a rien d’autre à ajouter.
Ils trahissent tout ce qui faisait la gauche : l’universalisme, la laïcité ou le sens de l’intérêt général.
Comment expliquez-vous que la plus grande préoccupation de toute une partie de la gauche porte sur le fait de bien être étiqueté comme « de gauche » ?
C’est parce qu’ils sont fragiles. Ils sont comme des croyants qui ont peur de perdre la foi dès qu’on se fout de leur trombine. C’est pour cela qu’ils ont un besoin pathologique de se faire passer pour des gens de gauche, quand bien même ils trahissent tout ce qui faisait la gauche : l’universalisme, la laïcité ou le sens de l’intérêt général. Jean Daniel disait, très justement : « Je ne pardonnerai jamais à ma famille d’avoir abandonné la nation aux nationalistes, l’intégration aux xénophobes et la laïcité aux communautaristes. »
On sent que le combat politique à mains nues ne vous déplaît pas… Vous avez envie de vous engager ?
Je n’aime pas la bagarre, mais je suis attachée aux idées qui me sont chères. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui s’engagent en politique, mais descendre dans l’arène pour ferrailler avec Sébastien Delogu, Ersilia Soudais ou Sandrine Rousseau… Sans déconner, je préfère m’épargner.
En assimilant les Arabes ou les musulmans à l’islamisme, Caron produit un amalgame raciste qui n’a rien à envier à ceux de l’extrême droite.
Vous avez récemment rebaptisé Aymeric Caron « Abou Aymeric el-Versailly », ce qui a déclenché une vague d’indignation à gauche… Que lui reprochez-vous ?
Lorsque Caron fait semblant d’être choqué parce que je l’appelle « Abou Aymeric el-Versailly », il sait très bien que la formule « Abou + nom + ville d’origine » a été utilisée par les djihadistes pour en faire leur nom de djihad. Caron sait parfaitement que je le fais pour dénoncer ses fatwas multiples, lui qui assimile systématiquement ses opposants à des « génocidaires ». Il se dit choqué de ce surnom, mais je crois surtout que les brocolis au tofu du réveillon n’étaient pas frais ! D’ailleurs, ce qui est dingue, c’est qu’en assimilant les Arabes ou les musulmans à l’islamisme, Caron produit un amalgame raciste qui n’a rien à envier à ceux de l’extrême droite.
Je rappelle à Aymeric Caron que son boulot ne consiste pas à lancer des fatwas contre tous ceux qui n’ont pas le bon goût de partager sa haine.
On a quand même le droit de ne pas être d’accord avec vous sur tout…
Je vous résume sa diarrhée de tweets à mon encontre. Je serais « complice des génocidaires », « insensible à la mort des enfants palestiniens », je nierais que des « innocents meurent à Gaza », je soutiendrais la droite israélienne et je ferais la communication de Netanyahou en étant « payée par le service public »pour « insulter les voix de la paix »… Tout cela venant s’additionner à mon « racisme puant », mon « islamophobie », mon manque d’humour, mon manque de courage et ma propension « à chouiner ». Le chevalier du brocoli s’est aussi fendu d’une lettre de délation à la présidente de Radio France, réclamant des sanctions à mon employeur… Et c’est moi qui le harcèle ? Je crois surtout qu’Abou Aymeric el-Versailly est un tartuffe surmonté d’un ego boursouflé, d’une écharpe tricolore et d’une raie bien mise. Ce tartuffe ne vaut pas beaucoup plus que les soi-disant « combattants » du Hamas qui exploitent confortablement la vulnérabilité des civils palestiniens depuis le Qatar.
Quand même, il s’agit d’un député !
Certes, mais, contrairement à l’opinion que Caron a de lui-même, ça n’en fait pas une vache sacrée. Je reste persuadée qu’un député n’a pas à se prononcer sur les blagues d’une humoriste. Et j’exerce mon droit de lui rappeler que son boulot ne consiste pas à lancer des fatwas contre tous ceux qui n’ont pas le bon goût de partager sa haine.
Les Insoumis ne parlent jamais du rôle de l’Iran, du Hamas ou du Hezbollah dans le conflit israélo-palestinien ! Il n’y a qu’Israël et les Juifs qui les obsèdent.
C’est un problème personnel entre vous et lui ou un problème général de ligne ?
C’est plutôt global. Les Insoumis ne parlent jamais du rôle de l’Iran, du Hamas ou du Hezbollah qui, en dehors de la politique délétère de Netanyahou depuis des années, jouent également un rôle dans ce conflit ! Il n’y a qu’Israël et les Juifs qui les obsèdent. Il suffit de mesurer leur absence totale d’engagement pour les 500 000 Syriens morts sous les bombes de Bachar el-Assad et de Vladimir Poutine. À l’époque, Mélenchon nous expliquait doctement que Poutine était « en train de régler le problème en Syrie »… C’est abject, et cela démontre la bêtise crasse de ces gens. En attendant, le Hamas n’a toujours pas libéré les otages israéliens, et les civils palestiniens meurent toujours sous les bombes de l’armée israélienne. Tant que ça durera, Caron et sa clique continueront leur petite récupération cynique et leurs opérations de terrorisme intellectuel contre les gens qui ne partagent pas leurs obsessions.
Faisons les comptes des dernières semaines : Blanche Gardin, Aymeric Lompret, Guillaume Meurice, Jean-Michel Apathie, Olivier Faure… tout le monde vous tape dessus. Vous le faites exprès ?
Vous en oubliez : Sandrine Rousseau, Ersilia Soudais, Aurélien Taché-le-bien-nommé, Hadrien Clouet, David Guiraud, Manuel Bompard et l’ensemble de leur meute, trolls et bots compris. Je pense que ces gens passent trop de temps sur Twitter. Moi aussi peut-être, mais, à leur différence, je ne suis pas députée de la République !
Ne craignez-vous pas que la morale de l’éditorialiste donneur de leçon ne prenne le pas sur la légèreté de l’humoriste ?
Si vous considérez que les humoristes qui passent leur temps à dire « Macron Caca », « Valls facho » ou « Netanyahou nazi » font de bonnes vannes, je comprends que l’on trouve mes chroniques d’un ennui mortel. Je défends l’idée qu’un billet d’humeur n’empêche pas d’être subtil et qu’il peut faire rire, sourire, réfléchir ou énerver. Plaire à tout le monde, c’est possible, mais il faut faire de l’eau tiède ou éviter les sujets qui fâchent. Ça n’est pas ma vision du métier.
Plaire à tout le monde, c’est possible, mais il faut faire de l’eau tiède ou éviter les sujets qui fâchent. Ça n’est pas ma vision du métier.
Vous évoquez parfois votre père, cuisinier à Radio France, « très croyant, mais qui ne nous a jamais fait chier avec la religion », dites-vous. C’est de là que vous vient votre passion pour la laïcité ?
Mon père est très pratiquant et, comme la plupart des pratiquants sincères, sa foi ne risque pas d’être ébranlée par une blague ou un dessin. Mon père est un croyant normal, respectueux des autres, à commencer par son athée de fille. Un musulman comme il en existe des millions.
Vous ne faites pas l’unanimité dans les couloirs de France Inter, où l’on se dit, dans un article du « Monde », « pris en otage » par vos obsessions. La radio publique est-elle encore le bon endroit pour mener vos combats ?
Personne ne fait l’unanimité nulle part, et Radio France doit continuer d’avoir une pluralité d’opinions et de discours. Je crois même que le pluralisme pourrait y être renforcé sans que cela ne nuise à son image et à sa mission. Le risque serait de considérer que France Inter devrait être « la voix de la gauche ». Ensuite, il se trouve que j’ai beaucoup d’amis à Inter, et plus largement à Radio France, et que pas mal d’entre eux sont plutôt du genre à m’encourager à rester libre. En revanche, vous en aurez toujours pour considérer qu’il est insupportable qu’une humoriste puisse passer trois minutes par semaine sans réciter le catéchisme de gauche. En général, les mêmes que ceux qui estiment que Dominique Seux ou Patrick Cohen n’auraient pas leur place à l’antenne. C’est navrant.
Vous entretenez manifestement des relations compliquées avec « Le Monde »…
J’ai constaté, à mes dépens, qu’interpeller Benjamin Barthe, le patron du desk Moyen-Orient du Monde, n’était pas une bonne idée. Lui multiplie les portraits élogieux de Rima Hassan, alias Lady Gaza, dans Le Monde, pendant que son épouse multiplie les tweets racistes contre moi en me traitant, ainsi que tous les Arabes qui ne pensent pas comme elle, d’« Aram de service ». Cette femme, Muzna Shihabi, est capable de tout, à commencer par faire l’apologie du pogrom du 7 Octobre, et de tresser des louanges à Rima Hassan…
Les continuums entre les militants islamistes, les militants Insoumis et les journalistes d’extrême gauche constituent une sphère où on s’accorde sur des cibles communes.
Rima Hassan a exhumé une vidéo d’un sketch de comédie d’il y a plus de vingt ans dans lequel je suis à genoux devant Arthur… histoire de nourrir le harcèlement organisé par des militants LFI contre moi sur le refrain « Sophia Aram suce des sionistes ». Bref, le projet de ces militants est de faire avec moi ce qu’ils ont fait avec l’imam Chalghoumi, attaqué en permanence par des personnalités proches des islamistes comme François Burgat, Panamza, Faïza Zerouala, Hani Ramadan, Mona Chollet ou Yassine Belattar. Tous décrivent l’imam Chalghoumi comme un « Arabe de service » vendu aux « sionistes »depuis son voyage en Israël. Pour moi, ça remonte à mon discours aux Molières. Les continuums entre les militants islamistes, les militants Insoumis et les journalistes d’extrême gauche constituent une sphère où, sans forcément partager les mêmes valeurs, on s’accorde sur des cibles communes. Et j’ai bien l’intention de continuer à me foutre de leur gueule.
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