EDITO
Leçon syrienne pour l’Algérie
L’ÉDITORIAL DE LUC DE BAROCHEZ. Les deux régimes étaient étroitement liés. Celui d’Alger pourrait-il connaître le sort de celui de Damas ?
Par Luc de Barochez
Réélu à un deuxième mandat présidentiel avec 84,3 % des suffrages exprimés, Abdelmadjid Tebboune prête serment, le 17 septembre 2024, au palais des Nations, à Alger. © CHINE NOUVELLE/SIPA
L’Algérie l’un des rares pays à regretter l’éviction du « boucher de Damas ». La chute du tyran syrien affaiblit sa posture stratégique et la plonge un peu plus dans l’impasse géopolitique. Fidèle alliée de la dictature d’Assad père (Hafez) puis fils (Bachar), elle est désormais privée d’un partenaire qui lui était aussi proche que précieux. Le 3 décembre, elle affirmait encore par communiqué officiel sa « solidarité inébranlable » avec la « nation sœur », alors que les rebelles islamistes marchaient sur Damas.
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Qui se ressemble s’assemble : tout comme l’ex-régime syrien, celui d’Alger plonge ses racines dans l’idéologie nationaliste arabe de Nasser, socialisante et anti-occidentale. Les deux pays ont connu la férule française, la Syrie à l’époque du mandat (1920-1946) et l’Algérie pendant la colonisation (1830-1962), mais ce n’est pas ce qui les a le plus rapprochés.
À partir de la prise de pouvoir de Hafez el-Assad à Damas en 1970 et jusqu’au 8 décembre 2024, les deux régimes ont surtout partagé la même organisation militaro-politique reposant sur l’armée et les services secrets, le même fonctionnement prédateur, la même répression de toutes les voix dissidentes – à l’instar de celle de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, incarcéré depuis le 16 novembre sur ordre du pouvoir algérien – et le même allié et grand fournisseur d’armes, l’Union soviétique puis la Russie, à laquelle est venu s’ajouter l’Iran après la révolution islamique.
Alger et Damas ont aussi affiché continûment la même obsession anti-israélienne virulente. Dès la fin des années 1970, ils furent des piliers du « front du refus » qui condamnait la paix entre l’Égypte et Israël au nom de la « solidarité » avec le peuple palestinien. Et, le 7 octobre 2023, ils refusaient de condamner le Hamas pour ses massacres, qu’ils justifiaient au nom du droit des Palestiniens à combattre « l’occupation sioniste ».
Une compassion propalestinienne à géométrie variable, cependant. Depuis la rébellion de 2011, l’Algérie a misé sans relâche sur le régime damascène, qui a torturé de manière abominable ses opposants, qui a bombardé sa population à l’arme chimique et qui a mené quantité de massacres, y compris contre les réfugiés palestiniens du quartier de Yarmouk, au sud de Damas. Ces méfaits n’ont pas empêché Alger de voter au sein de la Ligue arabe contre la mise au ban de la Syrie puis de se battre pour sa réintégration, jusqu’à obtenir gain de cause en 2023.
L’Algérie a utilisé à son tour le prétexte d’une préservation de la stabilité pour mater le Hirak, le mouvement prodémocratie qui a fait descendre des millions d’Algériens dans la rue, à partir de 2019, pour réclamer l’éviction du président Bouteflika. Hélas, son successeur, le président Tebboune, est encore plus l’otage consentant de la caste militaire dirigée par le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire, le général Saïd Chengriha, 79 ans. Les hauts gradés, qui ont la haute main sur l’économie du pays et sur ses ressources pétrolières et gazières, ont tremblé pendant le Hirak, et ils entendent s’épargner à l’avenir de nouvelles déconvenues en étouffant dans l’œuf toute dissidence.
La perte pour Alger que la chute d’Assad a conforté le frère ennemi marocain. Le royaume chérifien entretient des relations cordiales avec les deux puissances qui profitent le plus de la révolution syrienne, la Turquie et Israël. Et il vient d’engranger une série de victoires diplomatiques dans le conflit qui l’oppose à Alger au sujet de la souveraineté sur l’ex-Sahara occidental. Il a rallié successivement les États-Unis (2020), l’Espagne (2022) puis la France (2024) à sa position. Autant de gifles pour Alger alors que la Syrie, elle, a toujours soutenu le mouvement indépendantiste pro-algérien du Sahara occidental, le Front Polisario. Des combattants du Front, selon la presse marocaine, auraient même combattu la rébellion en Syrie aux côtés des troupes d’Assad et du Hezbollah libanais.
La fuite à Moscou du tyran de Damas n’a pas seulement aggravé l’isolement diplomatique d’Alger. Elle lui rappelle aussi que les dictatures ne sont pas éternelles, et qu’il advient toujours un moment où la tyrannie s’effondre. Elle montre aussi que le soutien de la Russie et de l’Iran n’est en rien une garantie de sécurité solide. Il est pourtant probable que le régime algérien, confit dans ses certitudes, n’en tirera aucune leçon.
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