Kamel Daoud, Boualem Sansal : la dictature algérienne lâche les chiens contre ses esprits libres
CHRONIQUE
La chronique de Ferghane Azihari
LA CHRONIQUE DE FERGHANE AZIHARI. L’arrestation de Boualem Sansal et la cabale contre Kamel Daoud dissimulent une attaque en règle d’Alger contre la France.Publié le 21/11/2024 à 19h20
Temps de lecture : 3 min
L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal ne donnait plus de nouvelles depuis quelques jours. On apprend désormais son arrestation par la dictature algérienne. Loin d’être fortuit, ce rapt digne de l’ère des pirates barbaresques est concomitant au harcèlement judiciaire dont Kamel Daoud et sa famille font l’objet. Un harcèlement auquel l’écrivain était habitué, mais qui redouble de violence après la consécration de son œuvre littéraire consacrée à la décennie noire qui vit s’affronter l’armée et les fanatiques de Mahomet en faisant 150 000 morts quelques décennies seulement après l’indépendance. Si tant est que l’on puisse parler d’indépendance et de décolonisation pour désigner des pays qui n’ont fait qu’échanger la domination occidentale pour passer sous la férule de factions dont la main indigène est bien plus cruelle que celle de l’ancien colonisateur.
Hasard du calendrier, ou pas, l’enlèvement de Boualem Sansal survient après le camouflet infligé à l’Algérie par la diplomatie française, en soutenant le Maroc sur le dossier du Sahara occidental. La dictature algérienne avait laissé entendre qu’elle n’en resterait pas là. On imagine sans peine l’agacement qui fut le sien au moment où un autre écrivain critique du régime se voyait décerner la plus haute distinction littéraire française.
À lire aussi La cabale de la dictature algérienne contre Kamel Daoud (avec la complicité du « Monde »)Ainsi l’avocate de la plaignante qui reproche à Kamel Daoud d’avoir « volé » son histoire accuse-t-elle l’Académie Goncourt d’avoir donné le prix sur ordre d’Emmanuel Macron. Par ces griefs complotistes, elle trahit sa fonction de porte-parole du régime. Kamel Daoud aurait souillé les « nobles valeurs » du peuple algérien par la publication d’un roman qui dénonce l’obscurantisme. Ces patriotes de pacotille – qui rabaissent leur nation comme nul autre le fait – laissent entendre que le fanatisme constituerait un élément respectable de la culture algérienne qu’il faudrait à tout prix préserver. Il ne manquerait plus qu’ils inscrivent l’art de l’égorgement sur la liste du patrimoine immatériel algérien auprès de l’Unesco.
Attaque contre la France et les idéaux de liberté
Là demeure l’élément le plus triste de l’histoire. Nos camarades algériens ignorant à peu près tout des mœurs démocratiques, ils projettent sur la France la corruption de leur pays, allant jusqu’à imaginer que la scène littéraire française se laisserait dicter sa ligne de conduite par le gouvernement. Il ne faut jamais avoir mis les pieds dans une librairie de France et de Navarre pour lui imputer une telle subordination.
Plus baroque encore est la plainte déposée par cette mystérieuse « organisation nationale des victimes du terrorisme », qui reproche à un penseur qui n’a de cesse de dénoncer le fanatisme qui gangrène le monde arabo-musulman d’instrumentaliser « les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire » (sic). Porter plainte contre les lanceurs d’alerte plutôt que contre les égorgeurs et leurs complices… Cette sinistre plaisanterie serait drôle si elle ne dissimulait pas une attaque en règle contre la France et – plus largement – les idéaux de liberté, d’égalité, de raison qu’elle incarne aux côtés de Kamel Daoud et de Boualem Sansal aux yeux des fanatiques et des kleptocrates.
À lire aussi Comment on brûle les romans en AlgériePendant trop longtemps, Paris a multiplié les courbettes et les signes de soumission envers Alger en vertu d’une culpabilité mal placée envers une nation qui en veut moins à « la colonisation » qu’au fait de ne pas avoir inventé la machine à vapeur pour être du bon côté de la matraque. Mais gageons que notre monde ne serait pas plus civilisé si la révolution industrielle avait pris racine chez les fanatiques de Mahomet en premier lieu.
À découvrirLe Kangourou du jourRépondreL’indigène revanchard n’est qu’un impérialiste contrarié. Il convient désormais de siffler la fin de la récréation et de le mettre au pas en utilisant toutes les sanctions à notre disposition pour faire comprendre aux dictateurs et leurs soutiens que renouer avec la vieille tradition des razzias méditerranéennes ne sera pas sans conséquence.
* Ferghane Azihari est essayiste, auteur des Écologistes contre la modernité : le procès de Prométhée (Presses de la Cité). Il est également membre de la Société d’économie politique et délégué général de l’Académie libre des sciences humaines.
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