Citant explicitement un article du New York Time mettant en cause le groupe palestinien dans les crimes sexuels commis le 7 octobre dernier, dénonçait des «allégations» qui constitueraient selon lui «une tentative sioniste de diaboliser la résistance et de justifier les crimes de guerre, le génocide et le nettoyage ethnique». Nous étudions le dossier François Burgat avec beaucoup d’attention.

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Lettre à François Burgat

LA CHRONIQUE DE FERGHANE AZIHARI. En partageant un communiqué du Hamas saluant « la virilité et l’honneur » des attaques du 7 octobre, l’islamologue François Burgat témoigne une fois encore de sa vision simpliste du monde.

Par Ferghane Azihari*

Illustration d'une mosquée à Grozny, en Tchétchénie. 
Illustration d’une mosquée à Grozny, en Tchétchénie.  © Yelena Afonina/TASS/Sipa USA/SIPA / SIPA / Yelena Afonina/TASS/Sipa USA/SIP

Cher Monsieur François Burgat,

Puisque vous avez eu la courtoisie de me répondre (passons sur l’accusation de collusion avec l’État d’Israël qui est digne de la cour de récréation), permettez que je fasse la même chose, avec le procès d’intention puéril et désespéré en moins.

C’est vous qui avez fait le choix, dans votre livre, de présenter votre parcours familial et de suggérer que l’action des « chrétiens de gauche » de votre famille était le produit de la culpabilité vis-à-vis des méfaits de la frange colonialiste de votre parentèle.

Vous présentez explicitement cet épisode comme un moment déterminant de votre éveil politique. Vous ne m’en voudrez donc pas de m’approprier la grille de lecture que vous appliquez à votre propre famille et de vous l’appliquer. 

Clichés orientalistes

Je concède que cette analyse n’est pas originale. Le sentiment arrogant et démiurgique que l’Occidental porterait le poids du monde sur ses épaules n’est pas très nouveau et ressemble à une énième hérésie chrétienne mal digérée, ce qui semble cohérent avec votre éducation religieuse. Tout le paradoxe de votre tiers-mondisme est qu’il est le premier pourvoyeur de clichés orientalistes qu’il prétend combattre, comme en témoigne votre phrase ô combien révélatrice et paternaliste qui soutient que « nous aurons les musulmans que nous nous donnerons ».

Edward Saïd, dont vous vous réclamez, écrit pourtant ceci : « Les succès descriptifs et textuels de l’orientalisme ont été si impressionnants que des périodes entières de l’histoire culturelle, politique et sociale de l’Orient ne sont considérées que comme des réactions à l’Occident. L’Occident est l’agent, l’Orient est un patient. » Votre discours correspond parfaitement à ce que Saïd dénonce. Bien que l’ouvrage de Saïd ait été très critiqué par les orientalistes, il faut lui reconnaître que ce dernier s’est montré plus exigeant vis-à-vis des musulmans que ne l’ont été les discours paternalistes comme les vôtres, puisque ce dernier n’a pas manqué de déplorer ce qu’il désignait comme les causes endogènes de la décadence du monde musulman : « La disparition progressive de la tradition islamique de l’ijtihad, ou interprétation personnelle, a été un des désastres culturels majeurs de notre époque » (source : Introduction de l’orientalisme).

Lecture simpliste

Je note que vous êtes incapable de fournir la moindre réponse aux arguments sur la diversité des postures anti-impérialistes que l’histoire recense, des Berbères kharidjites du VIIIe siècle au Japon moderne, en passant par les Afro-Américains protestants, les Européens libéraux confrontés à l’impérialisme franco-napoléonien, les Asiatiques marxistes-léninistes, entre autres exemples. Autant de cultures qui ont su faire la part des choses entre défier l’impérialiste et renier l’univers idéologique de l’impérialiste lorsque celui-ci présentait, à leurs yeux (à tort ou à raison), des traits culturels plus désirables que les traditions ancestrales.

Ces précédents liquident votre lecture simpliste du phénomène islamiste comme la conséquence logique d’une posture anti-impérialiste. Les exemples précités montrent que rien ne prédestinait l’islamisme à être « la voix du Sud » ou le principal vecteur d’expression du mécontentement des populations concernées face à l’Occident ou les dysfonctionnements politiques du monde arabo-musulman, si ce n’est l’attachement mortifère des principaux concernés à une vile superstition incapable de répondre aux défis contemporains.

Que cette superstition soit perçue comme « endogène », comme vous le soulignez à juste titre, ne fait qu’attester la réussite de la vaste entreprise d’épuration mémorielle et de génocide culturel mise en œuvre par l’Islam, qui a réussi à faire oublier aux peuples musulmans qu’ils n’ont pas toujours été musulmans, au point que ces derniers cultivent l’ignorance de leur passé préislamique, hellénistique, romain, chrétien, perse, bouddhiste, etc. avec une fierté déconcertante. La sous-représentation dramatique des musulmans parmi les spécialistes les plus distingués de l’Orient et des mondes anciens (et le quasi-monopole occidental en matière d’orientalisme et d’islamologie) en dit assez sur l’abrutissement que la superstition mahométane provoque et le mépris de l’altérité qu’elle suscite.

Par ailleurs, votre vision simpliste qui fait de la radicalisation islamiste la conséquence logique de la désolation et des dysfonctionnements du monde musulman n’enferme pas seulement ce dernier dans un cercle vicieux. Cette vision est tout simplement incapable de rendre compte du processus de civilisation, lequel prend toujours racine dans des contextes difficiles. Ce n’est pas dans un contexte apaisé que Pierre Bayle – dont le frère est mort dans les geôles de Louis XIV – a écrit sur la tolérance. Ce n’est pas plus dans un contexte apaisé que Kant a publié son projet de paix perpétuelle. Ce n’est pas dans un contexte heureux et prospère que l’Allemagne post-WWII s’est rangée derrière Konrad Adenauer et a participé à la construction européenne. La question est donc la suivante : pourquoi la tragédie, le chaos, les conflits engendrent, chez certaines civilisations, des personnages soucieux de les surmonter tandis qu’elles engendrent, ailleurs, des personnages soucieux de les perpétuer ? Vous ne répondez pas à cette question. Et pour cause, vous ne vous l’êtes jamais posée au cours de votre très longue carrière.

 

Vous prétendez que l’Occident détient depuis le XVe siècle le record de la violence politique et que « les modes d’expansion de l’Europe, depuis l’Amérique du Sud jusqu’aux quatre coins de la planète, ont requis un niveau de violence incomparablement supérieur à tout autre acteur de la scène internationale ». J’avoue que je ne me suis jamais amusé à comptabiliser les cadavres que chaque civilisation a laissés depuis le XVe siècle (mais, d’ailleurs, pourquoi commencer au XVe siècle ?). Mais, en admettant que vous ayez raison, cet argument montre que vous ne comprenez pas l’objection qu’on vous formule. Personne ne nie les péchés de l’Occident. Mais, en matière d’autocritique et de travail réflexif et mémoriel, ce n’est pas la civilisation qui nie les génocides arméniens et assyriens ou les traites arabo-musulmanes (entre autres atrocités qui ne font l’objet d’aucun travail mémoriel) qui est en mesure de donner la moindre leçon d’humilité. Vous qui arboriez avec fierté l’étiquette « islamo-gauchiste », pouvez-vous nous présenter vos homologues christiano, judéo, ou occidentalo-gauchistes à Doha, à Tripoli, à Kaboul, à Islamabad et à Gaza ? J’en doute fort.

Des vices non exclusifs

Les vices des sociétés occidentales que vous pointez ne sont nullement exclusifs à celles-ci. En revanche, ces sociétés ont été les premières à formuler les philosophies intransigeantes contre les tares de l’espèce humaine. Le plus vieux réquisitoire contre l’esclavage, nous le devons à l’ecclésiastique Grégoire de Nysse, au IVe siècle, tandis qu’il a fallu que les puissances européennes tordent le bras à bien des souverains musulmans aux XIXe et XXe siècles pour que ces derniers daignent s’attaquer à cet odieux trafic. La controverse de Valladolid animée par les théologiens de l’école de Salamanque sur l’autodétermination des peuples païens n’a pas plus d’équivalent islamique que le projet de paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre au XVIIIe siècle ou l’idéal cosmopolite d’un Theodor Herzl.

Vous avez beau nous expliquer que l’Occident est le principal responsable des maux de la Terre au motif qu’il a exercé son hégémonie pendant quelques siècles, vous ne nous ferez pas croire que le monde serait aujourd’hui plus civilisé si la machine à vapeur ou la mitrailleuse avaient été inventées au sein de l’Empire ottoman ou du califat de Sokoto. Mais, au fond, j’ai le sentiment de prêcher un convaincu. Le fait que vous ne manifestiez aucune exigence à l’égard des peuples d’Orient montre que vous les affectionnez avec la même distance que celle du touriste qui s’éprend des animaux en cage dans un zoo, à l’image de Flaubert qui, face à la modernisation de la condition féminine en Turquie, se scandalisait de la manière suivante : « L’exemple des femmes européennes est contagieux. Un de ces jours, elles [les musulmanes] vont se mettre à lire des romans. […] Tout craque de vétusté, partout ! »

 

*Ferghane Azihari est essayiste, auteur des « Écologistes contre la modernité-Le Procès de Prométhée » (Presses de la cité). Il est également membre de la Société d’économie politique et délégué général de l’Académie libre des sciences humaines.

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