David Lisnard : « Aujourd’hui, nos démocraties sont en jeu »

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David Lisnard : « Aujourd’hui, nos démocraties sont en jeu »

L’ENTRETIEN POLITIQUE DU WEEK-END. Devant le risque d’atonie de la société et d’une partie de la classe politique face à la montée des périls, le maire LR de Cannes appelle d’urgence à « un sursaut moral ».

Propos recueillis par

 

 
 

« Il faut se réveiller ! » Stupéfait de l’étrange langueur qui semble avoir gagné une large partie de la classe politique, jusqu’au sommet de l’État, face à la résurgence, sur le sol français même, de la « bête immonde » de l’antisémitisme, le maire Les Républicains de Cannes appelle à un « sursaut moral et spirituel ». Il s’étonne : pourquoi l’hommage national envisagé par Emmanuel Macron aux victimes françaises des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre n’a-t-il toujours pas eu lieu ? Politique de l’autruche pour ne pas réveiller des braises encore chaudes sur le sol hexagonal ?

« Face au retour de l’antisémitisme, soit totalement décomplexé soit accompagné de circonvolutions oratoires, je m’attendais à ce que beaucoup disent : “Je suis juif” », s’indigne-t-il, en rappelant l’époque pas si lointaine où le slogan « Je suis Charlie » était repris à l’unisson. Figure montante de la droite que d’aucuns espèrent voir porter le drapeau de son camp à la présidentielle, le patron de l’Association de maires de France et du mouvement Nouvelle Énergie condamne les partis qui, à l’extrême gauche de l’échiquier, se font « les idiots utiles de l’islamisme » par « cynisme » et arrière-pensées électoralistes. Des mots salutaires.

Le Point : En 1990, après les profanations du cimetière juif de Carpentras, François Mitterrand, alors président de la République, prenait la tête d’une grande marche. Depuis les massacres du 7 octobre, des élus jouent sur les mots, se refusent à condamner des actes terroristes, et une atonie semble gagner la société. S’est-on habitué à l’horreur ?

 

David Lisnard : Il y a une atonie civique, en effet, dans un contexte de crise de la démocratie. Elle se traduit par des taux d’abstention élevés ; par des violences contre les dépositaires de l’autorité publique, y compris les élus ; ou par des enquêtes d’opinion où des sondés mettent sur le même plan démocraties et régimes illibéraux, a fortiori des dictatures. Cette atonie civique devient tragique parce que le moment que nous vivons est extrêmement violent, porteur de violences bien plus graves à venir, et dramatique par l’antisémitisme qu’il manifeste.

Des étoiles de David taguées sur les murs de Paris, des cris « Allahou akbar » dans une manifestation à deux pas du Bataclan. Comment marque-t-on un coup d’arrêt ?

Moi, vous voyez, je ne m’appelle pas Charlie. Il m’est arrivé de me sentir offusqué par des dessins de Charlie Hebdo que je jugeais dégradants. Mais quand il y a eu l’attentat de janvier 2015, j’ai dit : « Je suis Charlie », et je le dis encore. Je souhaite pouvoir être offusqué, car cela veut dire que je suis en démocratie et en République française. Face au retour de l’antisémitisme, soit totalement décomplexé, soit accompagné de circonvolutions oratoires, je m’attendais à ce que beaucoup disent : « Je suis juif » !

à lire aussi LFI et la loi de BrandoliniQuand je vois la violence dans un aéroport du Daguestan où des hommes brisent des portes pour aller débusquer des Juifs, quand je vois des étoiles de David sur des immeubles, en France, c’est innommable. Je ne suis pas juif. Mais toute personne qui n’est pas juive, comme moi, qui est attachée à la justice et qui a un minimum conscience de l’Histoire devrait dire : « Je suis juif », comme on disait : « Je suis Charlie », même si on ne partageait pas tout ce qu’il y avait dans ce journal. Toute autre réaction aujourd’hui est artificielle puisqu’elle n’est pas venue spontanément.

 

On se souvient des mots de Jacques Chirac au soir de sa dernière allocution télévisée en mars 2007 : « Ne composez jamais avec l’extrémisme, le racisme, l’antisémitisme ou le rejet de l’autre. Dans notre histoire, l’extrémisme a déjà failli nous conduire à l’abîme. » Où sont passées les grandes voix politiques ? Le chef de l’État lui-même apparaît effacé…

Au moins 35 Français sont morts dans les attentats du Hamas, les plus meurtriers de notre histoire récente depuis ceux du 13 novembre 2015 et l’attaque de Nice. Emmanuel Macron s’est rendu en Israël – où il a d’ailleurs proposé de façon irréfléchie une coalition contre le terrorisme, qui est devenue, de retour en France, une coalition pour une trêve humanitaire, faisant le jeu des terroristes – et l’Élysée a annoncé dans la foulée un hommage national aux Invalides.

Mais qu’est-ce qu’on attend ? Cet hommage serait justement l’occasion de rappeler des fondamentaux, de dire que la République française n’est pas virtuelle. Cela rend d’autant moins crédibles les grandes postures quand, après chaque attentat, on proclame que la République sera impitoyable.

 
J’aimerais entendre des Palestiniens condamner le Hamas. Mais si vous condamnez le Hamas dans la bande de Gaza, vous vous faites flinguer. Israël, quels que soient ses défauts, est une démocratie

Pourquoi ce mutisme des autorités ?

Par un mélange, sans doute, de crainte et de cynisme face aux possibles conséquences intérieures. Si l’on n’est pas capable de condamner un antisémitisme si abject et si violent aujourd’hui, on ne sera jamais capable de condamner toute autre forme de racisme, jamais capables non plus de rester libres. Les mêmes qui aujourd’hui se couchent face à l’antisémitisme se coucheront demain face à d’autres manifestations de racisme ou à des formes de soumission au plus fort.

à lire aussi L’antisionisme ou « la permission d’être antisémite », ce que disait JankélévitchL’Histoire est faite de cela, Marc Bloch le démontre dans L’Étrange Défaite. Le nécessaire sursaut doit bien sûr être policier et judiciaire, mais il doit avant tout être moral, spirituel, au sens où l’entendait Saint-Exupéry dans sa magnifique Lettre au général X : on ne peut pas vivre que de frigidaires, on doit vivre aussi d’une spiritualité commune. En République française, un des éléments de cette spiritualité commune est de condamner, sans aucune nuance, tout racisme et tout antisémitisme.

Beaucoup sombrent dans la concurrence victimaire. Vous expliquiez récemment qu’on ne pouvait pas mettre sur le même plan le massacre d’Oradour-sur-Glane et les bombardements alliés sur Berlin…

Les vies ont toutes le même prix : on se sent concerné, bouleversé par toute mort, surtout la mort d’un enfant, qu’il soit palestinien ou israélien. Mais les morts n’ont pas toutes la même signification. Il y a, chaque jour en France, des centaines de morts dont on ne parle pas, et c’est normal. Quand un professeur se fait égorger par un terroriste islamiste, cela suscite logiquement une émotion supérieure. Il n’y a pas d’équivalence des morts.

Revendiquer une équivalence, c’est justifier l’abjection terroriste et l’antisémitisme. Je ne suis pas un supporteur de la politique israélienne menée par Benyamin Netanyahou, qui a voulu geler la situation, oubliant les accords d’Oslo et d’Annapolis. C’est un échec. Mais les Juifs de France et du monde n’ont pas à en être comptables. Bien sûr qu’il faudra porter l’espérance d’un État palestinien, mais comment voulez-vous aborder ce sujet quand on n’est pas capable de condamner ceux qui parlent au nom des Palestiniens sur une matrice génocidaire, exterminatrice du peuple juif ! Les mêmes utilisent le mot « génocide » pour des répliques militaires de l’armée israélienne. Il faut se réveiller ! J’aimerais entendre des Palestiniens condamner le Hamas. Mais si vous condamnez le Hamas dans la bande de Gaza, vous vous faites flinguer. Israël, quels que soient ses défauts, est une démocratie avec des contestations, des oppositions. La démocratie, c’est le pire des systèmes après tous les autres, disait Churchill. Ce sont nos démocraties qui sont en jeu aujourd’hui.

Il y a en France des prophètes de malheur qui surfent sur ce conflit à des fins électorales.

Ce n’est malheureusement pas une surprise pour moi, je l’avais écrit, il y a plusieurs mois. Il existe une convergence manifeste entre un antisémitisme populaire des Territoires perdus de la République, que l’on retrouve de façon répandue dans une partie de la population musulmane, a fortiori islamiste, et un antisémitisme plus mondain, petit-bourgeois et intellectuel qui désormais est d’extrême gauche. Le wokisme, pour parler clairement. L’extrême gauche a souvent été antisémite, le communisme soviétique l’était. Avant, on parlait de convergence des luttes, maintenant c’est d’intersectionnalité.
à lire aussi « Je ne me sens pas en sécurité sur le campus » : le conflit israélo-palestinien électrise les universités américainesOn le voit dans les universités américaines, comme en France. Au sein de La France insoumise et du NPA [Nouveau Parti anticapitaliste, NDLR], des figures de proue jouent sur l’identité victimaire. Ce sont les idiots utiles de l’islamisme, sauf qu’ils sont beaucoup moins forts et organisés. Ceux qui agitent des drapeaux LGBT dans des manifestations de soutien au Hamas seront les premiers à se faire décapiter. Je les invite à montrer le même courage en Afghanistan ou en Iran. Il y a de la naïveté donc, et beaucoup de cynisme chez les leaders, et c’est en cela que c’est dangereux. Cela concerne une minorité en France mais les mouvements d’insurrection, de révolution sont le fait de minorités frustrées. Et l’atonie civique générale est un facteur aggravant.

Que dites-vous au reste de la gauche qui se contente d’en appeler à des « moratoires » avec LFI ?

Qu’à force d’ambiguïté, on devient complice. Certains leaders de LFI sont heureusement plus raisonnables mais, dans ce cas, qu’ils s’en aillent ! J’entends des dirigeants socialistes dire : « Nous remettons en cause la méthode de LFI. » La méthode n’est pas le problème, c’est le fond.

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