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Le grand récit de l’attaque du Hamas : quand Israël découvre l’ampleur des massacres

RÉCIT (3/3). Le 7 octobre, la sidération le dispute à l’effroi à mesure que les renforts militaires pénètrent dans les kibboutz et sur le site du festival Supernova. L’effroyable épreuve pour identifier les 1 400 morts commence.

Par nos envoyés spéciaux en Israël , , Danièle Kriegel (correspondante), Sébastien Leban (Photos), Théophile Simon (avec Armin Arefi, Guillaume Perrier, Julien Peyron, Bartolomé Simon, Mathilde Siraud, Géraldine Woessner)

 

Le monde a atteint un sommet d’horreur le 7 octobre 2023. Armés et soutenus par le régime iranien, les terroristes du Hamas ont fait basculer Israël dans l’effroi en massacrant femmes, enfants, vieillards… 1 400 personnes ont été assassinées et 240 autres prises en otage parce que juives. Face à la volonté de certains de minimiser ou de relativiser ce pogrom du XXIe siècle, les envoyés spéciaux du Point ont enquêté sur le terrain et recueilli des centaines de témoignages. Ils ont pu reconstituer, heure par heure, le déroulé de cette journée d’infamie. En voici la troisième partie (retrouvez la première partie ici, et la deuxième )

11 h 35 : Première prise de parole de Benyamin Netanyahou

« L’ennemi va payer un prix sans précédent »

« Ce matin, le Hamas a lancé par surprise une attaque meurtrière contre l’État d’Israël et ses citoyens […]. J’ai ordonné une mobilisation des réserves et une riposte d’une ampleur encore jamais vue. L’ennemi va payer un prix sans précédent. […] Nous sommes en guerre et nous allons gagner. » Il est clair désormais que le Premier ministre joue son poste. Depuis des mois, de hauts responsables militaires l’alertaient : les projets terroristes risquaient de profiter de l’instabilité politique en Israël. En juillet, le chef d’état-major, le général Herzi Halevi, avait demandé un entretien ; Netanyahou avait refusé de le recevoir. « Nous devons être préparés à un conflit militaire de grande échelle sur plusieurs fronts », a encore dit Halevi lors d’une cérémonie le 11 septembre. Des proches de Netanyahou avaient condamné à la télévision les propos « alarmistes » du chef militaire.

Vers midi : Sud d’Israël

« Nous voulions tous croire que le Hamas était faible »

Les unités appelées en renfort se déploient tout autour de Gaza. Les militaires ont été pour la plupart pris au saut du lit, en pleines vacances de Souccot. Shana, une lieutenante de 23 ans, est de ceux-là. La jeune femme a quitté en hâte la maison de ses parents, à Kfar Saba, en banlieue de Tel-Aviv, pour prêter main-forte aux troupes mobilisées non loin de la frontière égyptienne. Elle plonge pour la première fois dans la fournaise de la guerre. « Avec mes soldats, on a combattu une vingtaine de terroristes. Certains d’entre eux étaient en tongs, ce qui pourrait indiquer que des civils palestiniens se sont engouffrés dans le sillage des combattants du Hamas », raconte Shana. L’armée, réputée invincible, a été humiliée par quelques centaines de terroristes. « Il est plus clair que jamais que nos ennemis veulent tuer le peuple d’Israël. Nous devrons à l’avenir être toujours prêts face à la menace, y compris la nuit et pendant le shabbat. »

Le 6 octobre 1973, déjà, pendant le jour de jeûne de Yom Kippour, les États arabes avaient attaqué Israël. Cinquante ans plus tard, l’effet de surprise est encore une fois total. Les effectifs militaires sont concentrés sur la Cisjordanie, autour des colonies, et sur la frontière du Liban, d’où l’on craint plutôt une provocation du Hezbollah et de son parrain, l’Iran. La menace du Hamas est lourdement sous-estimée. « Il ne fait pas de doute que l’attaque surprise du 7 octobre est un échec colossal, confie Israël Hasson, l’ancien numéro deux du Shin Bet. Les raisons de cet échec sont nombreuses. Elles sont techniques, opérationnelles et conceptuelles. Le système sécuritaire connaissait en détail et avec précision les plans de l’ennemi. Mais il s’est trompé sur la prévision de la date de l’attaque. Il y a de nombreuses raisons à cela, qu’il est trop tôt pour évoquer. » De fait, le Hamas n’avait pris part à aucune attaque depuis un an. « Nous voulions tous croire que le Hamas était faible et que nous l’avions dissuadé d’attaquer », a reconnu le général Barak Hiram, commandant de la 99 e division.

 

Milieu de journée : Secteur de Sdérot

Collecter tous les restes humains

 

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<STRONG>Carnage. </STRONG>À proximité de Sdérot, le 7 octobre.</FIGCAPTION>
Carnage. À proximité de Sdérot, le 7 octobre.
Les ambulanciers de l’organisation privée Zaka, qui collectent les restes humains lors d’incidents violents, ont exceptionnellement rompu le repos hebdomadaire sacré. Orthodoxes, ils auraient dû attendre la fin du shabbat pour se mettre en route. « J’ai décidé qu’il n’était plus temps pour moi de rester à la maison ! » dit leur chef, Yossi Landau, 55 ans.Arrivé à Sdérot, il découvre, incrédule, le carnage, des habitants abattus en pleine rue, d’autres tués dans leur véhicule… Lui et ses hommes stabilisent et évacuent d’abord des blessés. Un terroriste surgit, les secouristes l’abattent. Ils poursuivent leur route vers le sud. Près de Mefalsim, Yossi Landau découvre un abri : « À l’intérieur, vingt personnes étaient enlacées pour se protéger ; elles ont toutes été brûlées vives. »

La route est jonchée de cadavres et de voitures prises en embuscade. « C’est un tronçon de route qui aurait dû prendre entre quinze et vingt minutes à parcourir. Ça a pris à nos volontaires, alors que nous étions exposés à des tirs, onze heures… Onze heures pour nettoyer, et pas totalement, tout ce que nous pouvions. » Et c’était avant d’arriver dans les kibboutz. À Be’eri, Yossi Landau et 50 volontaires de Zaka entament un travail qui va leur prendre plus de deux semaines, sur les routes et dans les localités de toute l’enveloppe de Gaza. Chaque maison renferme des abominations : familles entières torturées et assassinées, femme enceinte éventrée, corps carbonisés… La religion juive dictant de collecter absolument tous les restes humains, jusqu’aux éclaboussures de sang, il faut gratter au sol et sur les murs, et recueillir les cendres qui se sont déposées partout dans les maisons incendiées avec leurs occupants. Et, quand ils ont accompli leur tâche sur les victimes israéliennes, il leur faut encore s’occuper des centaines de cadavres des terroristes.

 

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<STRONG>Terreur. </STRONG>Cette vidéo de propagande du Hamas montre Evyatar David, 22 ans. Il a été kidnappé par les islamistes lors du festival Supernova.</FIGCAPTION>
Terreur. Cette vidéo de propagande du Hamas montre Evyatar David, 22 ans. Il a été kidnappé par les islamistes lors du festival Supernova.

 

14 heures : Gaza

Exhibé dans les rues, violenté devant des civils en liesse

Le festivalier Evyatar David, 22 ans, est tombé entre les mains des combattants du Hamas, qui l’ont emmené à Gaza. Dans une première vidéo tournée par des terroristes et retrouvée par sa sœur Yeela, on le voit jeté dans le coffre d’un pick-up blanc. Il a les mains attachées dans le dos, son corps est ligoté avec celui de deux autres jeunes. Les terroristes les frappent à coups de crosse. Leurs tee-shirts sont déchirés, leurs corps couverts de plusieurs plaies ensanglantées.

On voit aussi Evyatar dans une pièce sans fenêtre, à même le sol, filmé à la lumière d’un téléphone, avec quatre autres jeunes. Ils ont les yeux écarquillés, tremblent de terreur, se protègent comme ils peuvent de leurs mains entravées. On découvre, dans une autre séquence, Evyatar à Gaza, torse nu, la nuque encadrée par le bras d’un terroriste, une cagoule noire et un fusil d’assaut. Il est exhibé dans les rues de Gaza, violenté devant des civils en liesse.
Il s’était rendu au festival Supernova avec quatre amis. Deux ont été tués par des grenades. Evyatar et un autre ont été faits prisonniers. Un seul en a réchappé.

14 heures : Festival de musique Supernova

Visages figés, corps disloqués

Un policier israélien a filmé le massacre du festival : une multitude de corps ensanglantés gisent sous le soleil, enchevêtrés, désarticulés. Derrière le bar, près des congélateurs dans lesquels de nombreux festivaliers ont essayé de se cacher, on en voit plusieurs dizaines. Visages figés, ils sont comme des poupées de chiffon, leurs membres disloqués. Une jeune femme, sur le dos, est si durement touchée qu’elle est méconnaissable, son visage a disparu. Un peu plus loin, une autre a la tête renversée, la nuque brisée. Sur d’autres vidéos, on voit un terroriste jeter une grenade dans un abri antiaérien où s’étaient entassés des fuyards. Des blessés sont entassés comme de la viande à l’arrière d’un pick-up par les assaillants, qui les frappent. Au total, 281 participants au festival sont assassinés (selon le décompte de Mapping the Massacres).

14 heures : Nehusha, village israélien proche de la Cisjordanie

« Ce conflit n’a pas de solution »

Tout au long de la journée, scotchée aux chaînes d’information et aux réseaux sociaux, la jeunesse israélienne découvre, éberluée, le degré de barbarie dont ses ennemis sont capables. Aux alentours de 14 heures, dans le petit village de Nehusha, une bande d’amis fréquentant le même lycée se retrouve sur la place principale pour discuter des événements. « Plus rien ne sera comme avant, car les Arabes sont passés à la vitesse supérieure, dit Yoav, une kippa sur sa tignasse bouclée. Nous étions habitués aux attentats, mais ils étaient toujours le fait de petits groupes solitaires. Cette fois, ils sont venus avec l’intention de tuer tous les Juifs sur leur passage. » Regev, l’un des membres du groupe, acquiesce. « Pour qu’Israël vive en paix, la solution serait de chasser tous les Arabes de cette terre. Mais c’est impossible car nous sommes limités par nos principes démocratiques. Ce conflit n’a pas de solution. Nous n’avons nulle part ailleurs où aller, et les Palestiniens ne veulent pas partager. Les attaques reprendront de plus belle, les civils palestiniens continueront à mourir sous les bombes de notre armée ; c’est horrible, on aimerait qu’il en soit différemment, mais c’est ainsi. »

 

  • Douleur. Hadas Kalderon passe ses journées à crier et à remuer ciel et terre pour que l’on retrouve ses deux enfants, Erez et Sahar, emmenés avec leur père par le Hamas lors de l’attaque du kibboutz Nir Oz.
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14 h 30 : Kibboutz Nir Oz

Otage à 11 ans

Tsahal parvient enfin à la maison de Hadas Kalderon. Quand les soldats frappent à sa porte, elle hésite à ouvrir. Après huit heures de calvaire, on la conduit finalement dans une maison où sont rassemblés les survivants. Là, les rescapés comprennent que près de 80 personnes de leur kibboutz ont disparu. « Ils ont kidnappé des personnes âgées que je connais, et qui peuvent à peine se déplacer, raconte Hadas. Je ne vois même pas comment elles vont survivre. » Ses enfants Erez et Sahar ainsi que leur père Ofer font partie des disparus. Hadas évoque la joie de vivre d’Erez, un petit garçon si drôle qu’il serait capable de monter un spectacle de stand-up, quand il ne se dépense pas sur un terrain de foot ou derrière une table de ping-pong. Sa sœur, Sahar, « belle comme la lune », la traduction de son nom en hébreu, est un « ange au cœur immense ». Depuis un mois, Hadas passe ses journées à crier devant sa télévision, à répondre à des interviews « parce que le monde doit savoir » et à inciter les autorités à négocier. « J’ai du mal à manger, à dormir. Mes amis me disent que la nuit, je crie et je pleure… Je me consacre à sauver la vie de mes enfants… » Le 26 octobre, Erez a eu 12 ans dans un tunnel à Gaza.

19 h 30 : Base de Shura, près de Ramla, centre d’Israël

« Nous avons décidé d’ouvrir une morgue mobile »

Michal Levin-Elad, 57 ans, est la commandante du Bureau national d’enquête de la police scientifique israélienne. Elle a vite compris qu’il ne s’agissait pas d’un simple attentat. Ses collègues prennent peu à peu la mesure de la catastrophe. « On imaginait d’abord 200 ou 300 corps. On a compris que ce serait bien plus. Les laboratoires de la police à Tel-Aviv ne peuvent pas traiter plus d’une centaine de corps en même temps. Nous avons donc décidé d’ouvrir une morgue mobile. » Tous les officiers de la police scientifique du pays, même les retraités, sont mobilisés. L’armée met à disposition une morgue d’une base militaire près de Ramla, au centre du pays. Les bâtiments y sont prévus pour résister aux munitions du Hamas. Plusieurs parkings peuvent recevoir des conteneurs frigorifiques pour stocker la masse de sacs mortuaires. Les premiers corps arrivent le dimanche.

à lire aussi Guerre avec le Hamas : en Israël, l’effroyable épreuve pour identifier 1 400 cadavresPrès d’un mois plus tard, le flux ne s’est pas arrêté. Les équipes de Michal Levin-Elad ont travaillé sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en trois quarts de huit heures. Amenés par les ambulanciers de l’armée et d’organisations privées comme les orthodoxes de Zaka, plus de 1 000 cadavres sont passés par la morgue mobile géante de Shura, 800 dès la première semaine, s’entassant dans des dizaines de conteneurs réfrigérés. Impossible, face à une telle hécatombe, d’enquêter en détail sur chaque victime. Seuls des rapports sommaires sont établis. Les légistes concentrent leurs efforts sur l’identification pour rendre les dépouilles aux familles. Les assassins se sont acharnés à détruire les corps, que ce soit avec des armes explosives sur des civils sans défense – lance-roquettes antichars, grenades thermobariques… –, en utilisant tout ce qui leur passait par les mains ou en incendiant les maisons, les morts et de trop nombreuses fois les vivants – dont la trachée engorgée de cendres trahit l’agonie abominable.

Cet acharnement a obligé les légistes à recourir à des radiographies dentaires ou à des analyses ADN pour l’identification. « Au bout d’une semaine, il n’y a plus de sang prélevable, donc il faut faire un prélèvement de tissu », détaille la cheffe de la police scientifique. Elle assiste à l’ouverture d’un sac. À l’intérieur, le corps gonflé d’une femme, pantalon baissé. À ce stade, les corps entiers comme celui-ci sont l’exception. Désormais, des militaires aidés par des archéologues de l’Autorité des antiquités d’Israël ratissent les sites des massacres à la recherche du moindre ossement, du moindre tas de cendres oublié. Des restes humains continuent d’être découverts tous les jours. Au 1 er novembre, 826 cadavres israéliens avaient été identifiés, 732 avaient été enterrés. Malgré les analyses, les contenus de centaines de sacs mortuaires n’ont pu être reliés à des noms de victime. « Pour chacun de ces sacs mortuaires, ce sont des proches qui souffrent et n’en peuvent plus d’attendre », rappelle la légiste en chef. Le bilan officiel des massacres s’élève à quelque 1 400 Israéliens tués, dont, parmi les forces de sécurité, 301 soldats, 55 policiers et 10 agents du Shin Bet.

 

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<STRONG>Quitter l’enfer. </STRONG>Évacuation du kibboutz Be’eri.</FIGCAPTION>
Quitter l’enfer. Évacuation du kibboutz Be’eri.

 

20 heures : Kibboutz Be’eri

« Ma femme était persuadée que c’était encore les terroristes »

Terré dans son abri avec sa femme et ses trois enfants, Amos Gurevits, 46 ans, ne comprend pas pourquoi l’armée n’est toujours pas là. Les échanges de coups de feu entre les tueurs et les gardes du kibboutz n’ont pas faibli. Dans la pièce plongée dans le noir, les enfants âgés de 4, 6 et 9 ans, allongés par terre, ont ordre de ne pas faire de bruit. Ils se comportent en « héros », dit le père de famille. Sa femme et lui tentent de ne pas montrer leur inquiétude. À un moment, ils ont bien entendu des hélicoptères, mais rien ne s’est passé. « À cet instant, je me sens complètement abandonné. » C’est seulement à la nuit noire que les premiers mots d’hébreu se font entendre derrière la porte de l’abri. « Ma femme était persuadée que c’étaient encore les terroristes », glisse Amos. « Quelle est votre adresse, votre nom, celui de vos parents, la couleur de votre béret ? » interroge-t-il avant de finir par ouvrir la lourde porte. Les enfants sautent sur les militaires de Tsahal et les embrassent.

Il faut encore être évacué, quitter le kibboutz. À l’extérieur, c’est une zone de guerre, tout est incendié, une épaisse fumée enveloppe l’air humide, de l’eau déborde des égouts, des dizaines de voitures sont brûlées, éventrées, des réservoirs criblés de balles. Et puis il y a les corps, qui partout jonchent le sol. « On avançait au milieu de ce chaos, en disant aux enfants de regarder droit devant eux », raconte Amos. Un ami venu le chercher croit voir un « spectre » arriver devant lui, livide. Le vieil Elie Carasanti est lui aussi secouru peu après. Sur la route qui le conduit loin de ce kibboutz où il a vécu plus de cinquante ans, il apprend que sa fille Mayana, son gendre Noar et sa première femme, Shoshana, la mère de ses enfants, ont tous trois été assassinés.

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<STRONG>Effroi. </STRONG>Les forces israéliennes évacuent les corps de dizaines de personnes massacrées dans le kibboutz de Kfar Aza, le 10 octobre.</FIGCAPTION> ©  Ilia Yefimovich/ZUMA Press/ZUMA-REA/ZUMA-REA
Effroi. Les forces israéliennes évacuent les corps de dizaines de personnes massacrées dans le kibboutz de Kfar Aza, le 10 octobre.
© Ilia Yefimovich/ZUMA Press/ZUMA-REA/ZUMA-REA

 

23 heures : Kibboutz Kfar Aza

Le monde d’avant n’existe plus

La petite Sa’ar a épuisé l’eau qu’avait emportée sa mère Keren dans l’abri le matin. Dans la soirée, enfin, une voix en hébreu appelle de l’extérieur. Ce sont des soldats de la brigade Guivati. Ils les emmènent vers un autre abri où sont cachés une quinzaine de civils et six chiens. Les animaux font leurs besoins au milieu des survivants entassés. Avidor et Keren Schwartzman et leur fille ne sont pas pour autant sortis d’affaire. Vers 1 heure du matin, dimanche, une première sortie échoue : il faut se replier dans l’abri. Les rafales continuent dehors. Seconde tentative à 2 heures passées : ils atteignent la sortie du kibboutz et passent devant leur voiture criblée de balles, les vitres éclatées. Près du portail, Keren aperçoit au sol le corps d’un combattant. Elle meurt de soif. « Tu as ton portefeuille ? » demande-t-elle à son mari en arrivant à la station-service au croisement de la grand-route. « Entre et sers-toi ! » lui répond-il, comprenant que le monde d’avant n’existe plus. Quand elle franchit la porte, elle découvre une épaisse mare de sang. « Ils avaient massacré le vendeur, probablement un Bédouin », dit-elle.

Sur 400 habitants du village, 77 ont été tués et 17 pris en otage. Après vingt heures à frôler la mort, les Schwartzman montent dans des bus avec les autres rescapés. Ils zigzaguent dans la nuit, pour éviter les axes où la horde ennemie continue de surgir et tirer au lance-roquettes sur tout ce qui passe. Dans l’obscurité, ils découvrent les bas-côtés jonchés de véhicules détruits, parfois encore en feu, et de cadavres. Pour Keren Schwartzman, « on se serait cru dans un film de zombies après l’apocalypse ».

Pour en savoir plus sur les images en direct de l’attaque transmises par les survivants, vous pouvez consulter le site october7.org en français.

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