Comment ses alliés peuvent-ils refuser de voir que Jean-Luc Mélenchon s’inscrit chaque jour un peu plus dans une longue tradition d’antisémitisme d’extrême-gauche ?

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POLITIQUE
 
Jean-Luc Mélenchon lors d’une conférence de presse.
 
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

NUPES

Comment ses alliés peuvent-ils refuser de voir que Jean-Luc Mélenchon s’inscrit chaque jour un peu plus dans une longue tradition d’antisémitisme d’extrême-gauche ?

Jean-Luc Mélenchon a qualifié, ce dimanche, Yonathan Arfi, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), de représentant de l’extrême droite.

Atlantico : Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Yonathan Arfi, a accusé, ce dimanche, Jean-Luc Mélenchon de se “compromettre loin du pacte républicain” à l’occasion de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites, hommage aux Justes. “Le président du CRIF utilise la cérémonie à la mémoire des victimes de la rafle des juifs par la police française pour me prendre à partie. Abject. L’extrême droite n’a plus de limite”, a répondu Jean-Luc Mélenchon sur Twitter. Accuser le Crif d’être d’extrême droite, alors qu’il a été “fondé dans la Résistance” et qu’il a inscrit la lutte contre l’extrême droite dans son “ADN profond”, est “particulièrement pervers” et “grotesque”, a réagi Yonathan Arfi dans une déclaration à l’AFP. Que nous révèlent les propos de Jean-Luc Mélenchon en ce jour de commémoration si particulier ? Quel bilan tirez-vous de cette séquence ?   

Simone Rodan-Benzaquen : Yonathan Arfi a prononcé un discours fort et digne, lors de cette journée de commémoration du Vel d’Hiv. Il a parlé avec beaucoup de justesse non seulement de la culpabilité  de l’État français pendant la Shoah, mais aussi du courage des résistants français.

Et c’est justement dans le sillage de ces courageux résistants que le Crif a été fondé dans la clandestinité à la fin de l’année 1943. Yonathan Arfi a souligné avec pertinence l’importance historique de cette journée, tout en mettant en évidence la nécessité d’apprendre de l’histoire. Il  à juste titre pointé du doigt les différents dangers auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, notamment la montée des mouvements d’extrême droite en Europe.

Accuser le Crif, comme le fait Jean-Luc Mélenchon, d’être d’extrême droite malgré sa connaissance de l’histoire et la justesse du discours du président du Crif, est non seulement intellectuellement malhonnête, mais aussi tout à fait intolérable. Elle est de nouveau une preuve indéniable du problème LFI que monsieur Arfi et moi-même relevons depuis longtemps.

Car Jean-Luc Mélenchon n’est pas à son premier essai. Rappelons-nous de sa prise de position insupportable dans la défaite de Jeremy Corbyn, où il prétendait que ce dernier était victime d’une manipulation  d’antisémitisme de la part du « grand rabbin d’Angleterre et de divers réseaux du Likud ». Mélenchon a ensuite déclaré: « Retraite à points, Europe allemande et néolibérale, capitalisme vert, génuflexion devant les ukases arrogants  des militants communautaristes du CRIF : non, et non signifie non ». Cette déclaration est aussi scandaleuse que celle d’hier. Le Crif est-il l’ennemi du peuple français, tout comme le grand rabbin d’Angleterre et les réseaux du Likud sont les ennemis du peuple anglais ? Le Crif est-il responsable du malheur du peuple, tout comme les institutions européennes ou l’Allemagne honnie ? Le Crif est-il allié du capitalisme et de l’ultra-libéralisme, ou même de l’extrême droite ?

Mélenchon accuse constamment ceux qui le critiquent des pires choses : d’être d’extrême droite, d’être ultra-libéral ou encore de créer un “rayon paralysant” en l’accusant d’antisémitisme. L’objectif est toujours le même : au lieu de discuter du contenu qualifié d’antisémite, il se livre à une contre-accusation complotiste. Car il ne s’agit pas seulement de reprocher à ceux que l’antisémitisme inquiète de se tromper, mais de le faire intentionnellement, en instrumentalisant cyniquement la « carte » de l’antisémitisme. C’est ce procédé que le chercheur David Hirsch a qualifié de « formule de Livingstone ». Elle a longuement été utilisée en Angleterre par le camp Corbyn, elle l’est de nouveau par Monsieur Mélenchon et la France Insoumise.

Et pour revenir au discours lui-même, Yonathan Arfi a parfaitement raison quand il accuse la France Insoumise de faire  bien plus partie du problème que de la solution.

Jean-Luc Mélenchon se nourrit de Marine Le Pen et vice versa. Qui peut encore nier que la parole du leader Insoumis, notamment à la lumière des dernières émeutes (où il n’a pas appelé au calme et a plutôt accusé la police) ne serve pas le Rassemblement National?

Qui peut encore nier que les choix électoralistes de son parti  ne continueront pas à semer la confusion et la division dans le pays, renforçant inexorablement le vote pour le Rassemblement National ?

L’ancien candidat de La France insoumise est-il définitivement sorti du champ républicain ? Cette sortie va-t-elle condamner la NUPES ? La gauche doit-elle prendre ses distances avec Jean-Luc Mélenchon ? 

Je ne sais pas si Jean-Luc Mélenchon est «définitivement » sorti du champ républicain, mais il a clairement amorcé un glissement depuis longtemps. J’ai mentionné ses déclarations sur les juifs et sur la politique intérieure du pays.

Mais le problème ne se situe pas uniquement à cet endroit. Les positions de Mélenchon sur l’Europe, sur la Russie ou encore sur la Syrie sont au moins aussi problématiques.

Ce qui me préoccupe, c’est que des partis de gauche ayant une histoire et des valeurs si différentes puissent s’allier avec un parti qui va à l’encontre de leurs principes et de leur histoire. J’espère qu’ils prendront leurs distances, mais il arrivera un moment où la simple distance sur des sujets ne suffira plus. Ils ne pourront pas toujours rationaliser leurs alliances. Elles nuisent à notre démocratie, radicalisent le spectre politique, affaiblissent les partis républicains et ouvrent par ailleurs la porte à une éventuelle alliance entre la droite et l’extrême droite.

Comment peut-on justifier une alliance entre le Parti socialiste et La France insoumise, tout en voulant interdire aux Républicains de s’associer avec le Rassemblement national ?

Pourtant, il semble qu’une grande partie de la gauche ne voit le danger qu’à l’extrême droite. Nombreux sont ceux à gauche qui refusent d’établir une équivalence entre l’extrême droite et l’extrême gauche, qui refusent même de voir un danger du côté de LFI. Cependant, lorsque l’on dresse la liste des positions communes entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sur Poutine, Bachar el-Assad ou l’Europe, lorsqu’on observe comment les deux s’alimentent mutuellement, on est en droit de se poser des questions.

Qu’est-ce qui dans l’histoire intellectuelle de la gauche a amené à ces dérives ?

Ces dérives sont le produit d’une longue histoire, qui remonte notamment à Bruno Bauer, un philosophe très critiqué par Marx qui soutenait que les Juifs ne pourraient s’émanciper sur le plan politique qu’à compter du jour où ils s’émanciperaient eux-mêmes de leur religion. Ou encore August Bebel, homme politique allemand qui parlait de l’antisémitisme comme le «socialisme des imbéciles», dépeignant ainsi l’image complotiste de l’oppresseur juif, responsable de tous les maux de la société.

Serge Berstein, historien, souligne que pendant la révolution industrielle et l’émergence de la question ouvrière, les Juifs étaient assimilés aux Rothschild et considérés comme des capitalistes par essence, même si la grande majorité d’entre eux appartenait à la petite bourgeoisie ou aux classes moyennes. Il fut adopté d’abord par les premiers socialistes, tel Proudhon ou Fourier, le premier flirtant avec les théories raciales, le second préconisant de revenir sur l’émancipation des Juifs décidée sous la Révolution. Le socialiste Jules Guesde en appelait à enfermer les Rothschild dans la prison Mazas à Paris.

À l’époque de Dreyfus, une grande partie de la gauche est restée ambiguë, voyant à travers «l’Affaire» une lutte au sein des élites. En basculant dans le camp dreyfusard, la gauche, s’est finalement débarrassé de ses oripeaux antisémites, les abandonnant à la droite, qui récidive dans les années 20 et 30, avec pour « tête de Turc » Léon Blum, victime d’agressions verbales et physiques parce qu’il était juif.  Les staliniens, quant à eux, qui n’étaient pas en reste en matière de haine des Juifs, les identifiaient au capitalisme et à l’impérialisme, et n’ont cessé de répéter qu’Israël était un État impérialiste pratiquant l’apartheid.

Ce qu’on appelle la  « cause palestinienne »  a fini par jouer dès les années 80 un puissant catalyseur des convergences entre intellectuels et groupes idéologiquement hétérogènes. Elle réunit aujourd’hui des islamistes et des anciens trotskistes, des révolutionnaires, des anticapitalistes, des anti-impérialistes , des indigénistes et « wokes » pour en faire une puissante machine à rendre les juifs ou plutôt le «peuple juif » de nouveau coupable de tous les maux.

Simone Rodan-Benzaquen est la directrice de l’American Jewish Committee en France depuis 2010 et d’AJC Europe depuis 2015.

Source:https://atlantico.fr/article/decryptage/comment-ses-allies-peuvent-ils-refuser-de-voir-que-jean-luc-melenchon-s-inscrit-chaque-jour-un-peu-plus-dans-une-longue-tradition-d-antisemitisme-d-extreme-gauche-nupes-lfi-yonathan-arfi-crif-jeremy-corbyn-simone-rodan-benzaquen?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Martin_Gurri%20%20%C2%AB%20La%20classe%20dirigeante%20fran%C3%A7aise%20ressemble%20aux%20h%C3%A9ros%20hollywoodiens%20qui%20s\%27accrochent%20au%20bord%20du%20pr%C3%A9cipice%20par%20les%20doigts%20d\%27une%20main%20%C2%BB&utm_medium=email

 


 

 
 

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