Le POINT « Certains Insoumis étaient tétanisés » : les dessous du livre qui accable Mélenchon

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Dans « La Meute », les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou dissèquent le fonctionnement interne de LFI et le « climat de violence » qui y règne. Plongée dans les coulisses de leur enquête.

Par Hadrien Brachet et Sébastien Schneegans

Charlotte Belaïch et Olivier Pérou ont beau filer la trentaine, ils ne sont pas du genre jeunes naïfs. Rodés au suivi des campagnes électorales comme des batailles partisanes, les deux journalistes, déjà loups de mer dans leur domaine, n’ignorent rien de la violence en politique, des trahisons, des manipulations, du cynisme. Une guerre par d’autres moyens. Mais de leur propre aveu, ce qu’ils ont découvert au sein de l’appareil mélenchoniste se révèle d’une autre nature. « LFI n’est pas un parti politique comme les autres, écrivent-ils dans l’avant-propos de La Meute. Il ne s’agit pas des coups de colère d’un homme autoritaire, mais de domination, de soumission. »

Dans cet ouvrage*, à paraître le 7 mai, fruit de plus de deux ans d’enquête, le duo de plumes, officiant respectivement à Libération et au Monde, dissèque avec précision le fonctionnement de La France insoumise (LFI), une organisation au service d’un chef que rien ne permet de contester, sous peine d’exclusion ou de marginalisation. Grâce à des centaines de pages de documents exclusifs et plus de 200 témoins, dont certains sont toujours membres du mouvement, les deux compères racontent les purges successives, les intimidations, le manque de démocratie interne, les revirements de Jean-Luc Mélenchon, les dérives idéologiques, les attaques numériques. « Notre livre révèle le climat de violence qui règne entre les membres de LFI, estime Olivier Pérou, passé par L’Express et Le Point. Celui qui doute est considéré comme un adversaire. » Un récit fouillé et circonstancié, sans bavardages superflus tant les faits parlent d’eux-mêmes.

Si le contenu du livre est édifiant, les précautions qu’ont dû prendre les deux auteurs, aussi bien pour rassurer leurs sources que se protéger eux-mêmes, frappent tout autant. Attablés dans un café du 10e arrondissement en ce début mai, Charlotte Belaïch et Olivier Pérou racontent au Point comment ils ont mené l’enquête. L’idée germe au moment de l’affaire Quatennens. Le soutien coûte que coûte de Jean-Luc Mélenchon à son fidèle lieutenant – qui sera condamné en 2022 à quatre mois de prison avec sursis pour des violences sur son ex-compagne – suscite de sérieuses réserves à l’intérieur du mouvement. « On a senti qu’à ce moment-là, le vernis de LFI craquelait, confie Olivier Pérou, qui a rejoint Le Monde en mars dernier. Des Insoumis avaient besoin de parler. C’était notre porte d’entrée. »

À partir de là, les deux journalistes, chargés du suivi de la gauche dans leurs médias respectifs, avancent sur deux fronts. « On continuait à couvrir le parti pour avoir le discours officiel et, en sous-marin, on voyait ceux qui doutaient », explique Olivier Pérou. Objectif : travailler le plus longtemps possible dans l’ombre, sans que la direction du parti ne verrouille leurs accès. Ce ne sera qu’en mai 2024, lors d’un meeting à Aubervilliers, que l’une des communicantes de LFI, visiblement informée, glissera à Olivier Pérou : « Il paraît que tu fais un livre sur nous. »

L’idée d’un fonctionnement sectaire revenait souvent dans la bouche de nos interlocuteursCharlotte Belaïch

Entre-temps, il aura fallu un long travail d’orfèvre, une interminable patience parfois, pour mettre en confiance leurs sources, les convaincre de parler, qu’elles aient ou non quitté LFI. Au gré des déclarations du leader Insoumis, des polémiques ou du climat interne, des contacts se nouent, d’autres se rompent. « Certains Insoumis, même en dehors du mouvement, étaient tétanisés, lâche Charlotte Belaïch. Il nous a fallu un an et demi pour convaincre certaines sources de nous parler ! » Dans les cafés où les auteurs les rencontrent, beaucoup demandent à se positionner dos au mur pour surveiller le passage et repérer d’éventuelles oreilles indiscrètes. Ambiance Le Parrain ou film d’espionnage. « À LFI, la question centrale est celle de la loyauté absolue, explique la députée Insoumise Marianne Maximi dans l’ouvrage. La nuance n’est pas autorisée. »

Révélateur d’un mouvement qui ne tolère aucune critique aux agissements du chef ? « Lors de notre enquête, nous avons pris la mesure de la fascination que Mélenchon exerce sur les Insoumis, explique Charlotte Belaïch. L’idée d’un fonctionnement sectaire revenait souvent dans la bouche de nos interlocuteurs, ainsi qu’un lexique religieux. Son ancien chauffeur, Sébastien Delogu, qui est aujourd’hui député, dit lui-même “Mélenchon, c’est Dieu, et je suis le fils de Dieu”. » Amen.

Le « tabou » Chikirou

Les deux journalistes consacrent également plusieurs pages à un sujet électrique au sein de LFI : le rôle de Sophia Chikirou. Leur livre évoque ouvertement la relation intime qui la lie à Jean-Luc Mélenchon, « secret de Polichinelle » dans les salons parisiens. « Il y a un tabou au sein de LFI et il s’appelle Sophia Chikirou, assure Olivier Pérou. Jean-Luc Mélenchon n’accepte pas qu’on parle de sa vie privée. Mais nous avons décidé d’écrire sur ce couple, car Sophia Chikirou se présente elle-même en interne comme “la femme du chef”. C’est ce statut qui la rend intouchable, malgré la violence de certains de ses propos. » En octobre 2023, le magazine Complément d’enquête s’était déjà penché sur celle qui a été mise en examen dans l’enquête visant les comptes de campagne de la présidentielle 2017.

Outre une dissection précise de cette affaire, documents à l’appui, l’ouvrage décrit des « insultes » et des pressions exercées à l’intérieur du mouvement par la députée. Ainsi que les « outrances » dont la parlementaire ne se prive pas en public, comme lorsqu’elle compare sur Facebook le communiste Fabien Roussel au collaborationniste Jacques Doriot : « Il y a du Doriot dans Roussel. » Ou lâche sur X : « Le hollandisme, c’est comme les punaises de lit. »

Mise en demeure de Sophia Chikirou

Au fil des mois, les liens des deux journalistes avec la direction de LFI se sont tendus. Déjà, à l’été 2023, après un article de Charlotte Belaïch dans Libération sur le fossé grandissant entre Jean-Luc Mélenchon et les juifs, le leader Insoumis avait, selon l’ouvrage, qualifié la journaliste d’« agent du Likoud »… Puis, une fois leur projet de livre connu, les deux plumes ont peu à peu cessé d’être conviées aux « off » distillés par Jean-Luc Mélenchon aux journalistes. Ils confient même avoir été retirés de la boucle presse de LFI le 28 janvier dernier. Un procédé vis-à-vis de la presse pas si éloigné de certaines pratiques pour lequel le Rassemblement national (RN) a lui-même été épinglé.

Sans surprises, donc, Jean-Luc Mélenchon a refusé de répondre à leurs questions une fois l’enquête bouclée. C’est Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, qui a été « mandaté » pour leur répondre. Un échange a eu lieu le 29 janvier, donnant au député de Marseille l’occasion de se défendre à propos du fonctionnement vertical du parti. Quant à Sophia Chikirou, qui a aussi refusé de répondre à leurs interrogations, elle a effectué une mise en demeure par le biais de ses avocats pour empêcher la sortie de certains passages du livre. Par bonne foi, pour lui laisser du temps supplémentaire pour leur répondre, les auteurs ont fait le choix de reporter d’une semaine la sortie.

Craintes d’attaques

Craignant « la violence des réactions de LFI », les deux associés ont également décidé de se retirer des réseaux sociaux. Le titre du livre a aussi été tenu secret jusqu’à tardivement. « Nous sommes bien conscients qu’une vague de décrédibilisation va s’abattre sur notre travail d’investigation », écrivent-ils dans leur avant-propos. Saine méfiance ? Excès d’inquiétude ? « Il y a trois façons à LFI de réagir à une enquête : ignorer, tourner en ridicule ou attaquer », analyse Charlotte Belaïch. Encore au tout début de leur promotion médiatique, les deux plumes ne savent pas exactement lequel de ces traitements leur sera réservé.

Reste qu’en avril, lors d’une conférence, avant même la publication de l’ouvrage, Jean-Luc Mélenchon s’en est pris à un article d’Olivier Pérou dans Le Monde consacré à la réaction des Insoumis au procès Le Pen. Le patriarche en a profité pour fustiger, sans le nommer, « un type qui est en train d’écrire un bouquin contre nous » et qui « chaque fois qu’il prend la plume prépare la publication de son livre en nous agonissant d’injures ». « Le journal de la “gôche” Kamala Harris reste un marchepied de tous les Trump du monde », a également tweeté le leader Insoumis le 13 avril à l’encontre du quotidien du soir, en relayant un papier d’Olivier Pérou.

à lire aussi Inéligibilité de Marine Le Pen : la position de LFI ulcère le reste de la gaucheDes indignations qui n’empêchent pas l’entourage du vétéran de tenter depuis quelques jours, selon les deux auteurs, de se procurer le livre… « Il paraît que c’est croustillant », s’amusait de son côté un ténor socialiste, croisé fin avril par Le Point. Dans la grande famille (éloignée) de la gauche, la curiosité est une pratique répandue.

Leur livre, tiré à 15 000 exemplaires, aura-t-il un impact sur le fonctionnement du mouvement ? Provoquera-t-il des transformations vers davantage de démocratie interne ou, à l’inverse, de nouvelles mises à l’écart ? « Il peut y avoir des départs, décrypte Charlotte Belaïch. Mais ça peut aussi provoquer des purges et une forme de repli encore plus fort, une radicalisation dans la confrontation au reste du monde. » Toute meute est toujours un peu imprévisible.

*Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, La Meute. Enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, Flammarion, 7 mai 2025, 22 euros.

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