Accueillir un ancien djihadiste, même sans tapis rouge : une faute morale, stratégique… et nationale

Le président de la République a choisi de recevoir même sans tous les honneurs Ahmad al-Chareh, nouveau chef de l’État syrien. Ce nom ne dit peut-être rien au grand public. Mais derrière cette apparente normalisation se cache une réalité dérangeante : l’homme que l’on accueille à l’Élysée fut longtemps connu sous le nom d’Abou Mohammed al-Joulani, figure du djihad mondial, vétéran d’al-Qaïda, fondateur du Front al-Nosra et de Hayat Tahrir al-Cham.
Faut-il rappeler que ce même homme a imposé la terreur, dirigé des purges confessionnelles, instauré une théocratie armée dans les territoires qu’il contrôlait ? Que les Kurdes, nos alliés de terrain contre Daech, sont aujourd’hui persécutés par ses forces ? Que des sunnites opposés à sa vision de l’islam sont pourchassés, emprisonnés, voire exécutés ? Et que les chrétiens de Syrie, dans un silence glaçant, redoutent à leur tour de devenir des cibles ?
Recevoir un tel dirigeant sans condition, sans réserve, sans mise en contexte claire de son passé, ce n’est pas seulement une faute morale. C’est une faute stratégique.
C’est une trahison envers ceux qui ont combattu le terrorisme aux côtés de l’Occident, et une insulte à la mémoire des victimes de l’islamisme dans toute la région.
Mais le plus grave, c’est que cette faute engage aussi notre avenir ici, en France.
Car ce n’est pas seulement à Damas ou à Washington que ce geste est observé. Il l’est aussi à Saint-Denis, à Roubaix, à Trappes ou à Marseille. Il l’est dans toutes les sphères où l’islamisme, sous toutes ses formes, travaille notre société. Il est analysé, interprété, détourné, récupéré.
Recevoir un ancien chef djihadiste comme un chef d’État respectable, c’est valider aux yeux de certains que l’islamisme n’est pas un obstacle au pouvoir. C’est accréditer, fût-ce malgré nous, l’idée que la radicalité religieuse peut être un levier de respectabilité, de légitimité, voire de victoire. Et cela, dans une société française déjà fragilisée par les fractures communautaires, les replis identitaires et les multiples alertes des services de renseignement, c’est tout simplement suicidaire.
Ce signal — implicite, mais limpide — alimente directement les récits djihadistes qui prétendent que l’Occident finira toujours par céder. Qu’il ne tient pas ses principes. Qu’il respecte la force plus que la morale. Et qu’il pactisera toujours avec le plus radical si cela lui permet de gagner un peu de stabilité à court terme.
Nous ne devons pas banaliser l’intolérable. Ni là-bas, ni ici.
La France ne peut pas défendre les droits humains, proclamer sa lutte contre le terrorisme islamiste, et dans le même temps décorer ceux qui ont incarné ce terrorisme hier, sous prétexte qu’ils se présentent aujourd’hui en costume et cravate. Ce double discours est non seulement dangereux : il est déjà contre-productif. Il affaiblit la cohésion nationale. Il brouille les repères. Il trahit ceux qui croient encore en nos valeurs.
Il est encore temps de dire qu’un costume ne lave pas un passé. Que notre diplomatie, même réaliste, doit refuser l’amnésie.
L’honneur d’un pays ne se mesure pas à la souplesse de ses poignées de main, mais à la fermeté de ses principes.
Le Bureau
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