Lettre à mon fils : « De massacres en pogroms, nous avons toujours su nous relever »
Ancienne journaliste de TF1 et de i24News en Israël, où elle a vécu sept ans, Jessica Lederman* s’adresse ici à son fils de 4 ans, qui sera amené à découvrir plus tard les massacres du 7 octobre.
Mon amour,
Tu as dû remarquer ces derniers temps que aba [père, en hébreu] et maman passent plus de temps que d’habitude sur leur téléphone à regarder les informations, et ne sont parfois pas aussi présents que tu l’aimerais.
Toi qui vois et ressens tout, tu as certainement vu des larmes couler sur le visage de aba pour la première fois et senti l’inquiétude dans le regard de maman.
Tu as aussi certainement entendu le mot Israël prononcé bien plus souvent que d’habitude dans nos conversations.
Alors oui, tu as raison de me regarder avec tes grands yeux inquisiteurs. Un jour tu découvriras les images de ce 7 octobre 2023 et tu me demanderas « Pourquoi ? ».
Mais tu vois, mon ange, pour l’instant j’ai encore du mal à trouver les mots. Tu es juif, tu le sais déjà puisque tu portes fièrement ta petite kippa sur la tête le vendredi soir. Et uniquement pour cette raison, certaines personnes sur cette terre te détestent déjà. J’en suis profondément désolée, j’aurais aimé t’offrir un monde différent, meilleur. Je te rassure, tu n’as absolument rien fait qui justifie cette haine. Ni toi, ni nous, ni papi, ni safta [grand-mère], ni saba [grand-père]. Non. On nous déteste pour ce que l’on est.
Un déferlement de haine contre notre petit peuple
Et malheureusement, c’est le cas depuis la nuit des temps. Tu te souviens de l’histoire des dix plaies d’Égypte que tu aimes lire avec aba ? On nous détestait déjà à cette époque, lorsque nous étions les esclaves de Pharaon, et encore après sous l’Inquisition, et encore après dans l’Europe des nazis et dans de nombreux pays arabes où nous avons été persécutés.
Tu sais, c’est à cause de ça que la famille de saba a fui l’Irak pour trouver refuge en Israël, et que la famille de papi a quitté sont petit shtetl de Pologne à temps pour ne pas être déportée par les nazis vers les camps de concentration.
Il y a, en ce moment, un déferlement de haine contre notre petit peuple. Une haine dont aba et maman ne pensaient jamais être témoins. Toute cette haine, ne la laisse jamais entrer en toi. Sois toujours fier de toi, de tes traditions, de ta famille et de son passé. Marche la tête haute, toujours. Et défends les valeurs que nous te transmettons. Laisse l’amour et le respect guider tes actes, rien d’autre. Il n’y a que comme ça que la lumière qui s’est éteinte sur l’humanité pourra se rallumer.
C’est vrai, dans un moment pareil, nous pensions recevoir plus de soutien des gens autour de nous, mais de la compassion, personne n’en a jamais vraiment eu à notre égard.
De massacres en pogroms, nous avons toujours su nous relever. Seuls. C’est peut-être d’ailleurs pour cela que l’on ne nous aime pas beaucoup. Nous avons toujours su avancer et nous reconstruire, partout où nous avons trouvé asile. Ne cesse jamais de le faire, comme quand on t’apprend à te relever quand tu tombes.
Israël est ton pays, ta terre
Certains me disent en ce moment qu’ils voient de la rage en moi. Oui c’est vrai j’ai la rage des larmes que tu vois parfois rouler sur les joues de maman aussi. La rage contre tous ceux qui se trompent d’ennemi au détriment de la vie de millions d’entre nous, juifs, dans le monde. Contre ceux qui, par leur silence, cautionnent la barbarie et permettent à l’antisémitisme des lendemains qui chantent.
Je voulais aussi te dire que je m’excuse de t’avoir arraché si frénétiquement de l’échelle sur laquelle tu grimpais à l’aire de jeux la semaine dernière. Mais j’ai entendu des cris perçants d’adolescents non loin de nous, et mon cœur a explosé de peur. Je pouvais déjà discerner les silhouettes des terroristes qui s’approchaient de nous dans la rue avec leurs armes. J’ai eu si peur. Cette peur, je travaille à la dompter ; ça passera aussi, je te le promets.
Une dernière chose, tu me demandes souvent quand on retournera en Israël. Bientôt, mon ange. Israël est ton pays, ta terre. Son sang coule dans tes veines. Israël restera debout. On nous a peut-être mis à terre, mais on ne nous a pas enterrés.
Je t’aime,
Maman
*Jessica Lederman été grand reporter pour le journal télévisé de TF1, avant de diriger la rédaction française de i24News en Israël, où elle a vécu sept ans. Elle vit actuellement à Ne
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