EDITORIAL DE L’OBSERVATOIRE JUIF DE France | La morale en vitrine, le courage en acte


On connaît la chanson. En France, en Europe, on se déclare “massivement” contre l’antisémitisme. On condamne, on commémore, on se recueille. On prononce de belles phrases aux enterrements, on allume des bougies, on observe des minutes de silence, on publie des messages graveleux de vertu. Et puis, dès que la haine redevient concrète, proche, risquée… tout se dégonfle. Le courage s’évapore. La solidarité devient un slogan, et la protection réelle une exception.
Le drame de Sydney, sur la plage de Bondi, pendant une célébration de Hanoucca, l’a rappelé avec une brutalité insupportable : quinze personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées lors d’une attaque antisémite qualifiée de terroriste par les autorités. TF1 INFO+1
Et au milieu de l’horreur, un homme a fait ce que tant d’entre nous prétendent être prêts à faire, sans jamais le faire : il s’est jeté sur l’un des assaillants, l’a désarmé, l’a fait reculer, au péril de sa vie, et il a été gravement blessé. The Guardian+1
Cet homme s’appelle Ahmed al-Ahmed. Et ce détail qui devrait faire trembler de honte les donneurs de leçons : il est musulman. The Guardian+1
Qu’on se comprenne : il n’est pas héroïque parce qu’il est musulman. Il est héroïque parce qu’il a fait ce que l’humanité exige quand elle se tient encore debout : protéger des innocents, sans demander leur religion, leur origine, leur camp, leur couleur. Mais le fait qu’il soit musulman agit comme un révélateur, une gifle morale distribuée à la terre entière. Parce que, par son acte, il démolit deux mensonges d’un seul coup.
Le premier mensonge, c’est celui de la bonne conscience occidentale : “Nous sommes contre.” Oui, “contre”, mais où ? Contre, mais quand ? Contre, mais comment ?
Car ce qui manque aujourd’hui n’est pas l’opinion, c’est le passage à l’acte. Le réflexe. Le geste. La phrase simple qui coupe net : “Stop.” Le soutien immédiat à la victime. Le refus de rire, de relativiser, de détourner les yeux. On s’indigne après, à froid, quand le risque est passé. On est courageux à distance, à l’abri, derrière un écran. Mais sur le terrain, dans le réel, dans la rue, au travail, dans une soirée, à la sortie d’une école, trop de gens se taisent. Et ce silence n’est pas neutre : il est un permis tacite.
Le deuxième mensonge, c’est celui que l’islamisme aime entretenir : l’idée que “les musulmans” seraient fatalement voués à se tenir du mauvais côté, ou à regarder ailleurs. Le geste d’Ahmed al-Ahmed est un démenti cinglant. Il dit, sans discours, sans posture, sans propagande : on peut refuser la haine, on peut refuser l’antisémitisme, on peut le combattre, ici et maintenant, par un acte clair. The Guardian+1
Il donne une claque aux islamistes qui rêvent d’enfermer les consciences dans le ressentiment et la violence. Il donne une claque à tous ceux qui, en Occident, prétendent “protéger le vivre-ensemble” en sacrifiant les Juifs au confort du déni. Parce que oui : quand une société commence à expliquer aux Juifs comment se rendre moins visibles, c’est qu’elle a déjà cédé quelque chose d’essentiel.
Et c’est là que le temps du silence est passé.
Assez de belles phrases aux cérémonies. Assez de discours larmoyants après coup. Assez de compassion posthume — cette charité bon marché qui arrive quand tout est fini, quand les victimes ne peuvent plus entendre, quand il ne reste qu’à pleurer sans agir.
Le scandale, c’est que l’on sait. On voit. On mesure. On alerte. Et pourtant, tant de responsables politiques continuent à parler comme si l’antisémitisme était un “dérapage” sporadique, une “tension”, un “climat”, une abstraction. Comme si la haine était une météo. Comme si elle tombait du ciel.
Non. Elle se nourrit. Elle se diffuse. Elle s’enseigne. Elle se finance parfois. Elle se tolère trop souvent.
Et là, il faut le dire nettement : il y a quelque chose d’indécent, de profondément obscène, à entendre des gouvernements occidentaux prononcer des hommages solennels aux victimes tout en tenant, dans le même temps, des propos complaisants — ou des politiques complaisantes — envers des États et des régimes qui, de près ou de loin, entretiennent l’antisémitisme, ferment les yeux sur l’islamisme, ou jouent avec lui comme avec un instrument d’influence.
On condamne “fermement”, puis on déroule le tapis rouge à la compromission diplomatique. On se proclame défenseur des valeurs, puis on s’étonne que ces valeurs reculent à l’intérieur de nos frontières. On dit “plus jamais ça”, puis on accepte, par lâcheté ou par calcul, que la haine circule sous d’autres noms, dans d’autres emballages, dans d’autres slogans.
Il ne suffit pas d’être “contre l’antisémitisme” quand c’est socialement attendu. Il faut l’être quand c’est inconfortable. Quand cela coûte. Quand il faut choisir entre la tranquillité et la dignité.
La vérité, c’est que l’antisémitisme prospère moins par la force des fanatiques que par l’immensité des spectateurs. Par ceux qui ne veulent pas d’ennuis. Par ceux qui disent “je ne veux pas faire de vagues”. Par ceux qui confondent prudence et abdication. Par ceux qui se taisent pour préserver leur confort, leur réputation, leur paix sociale, et qui découvrent trop tard que cette paix n’était qu’un sursis.
Et c’est pour cela que l’acte d’Ahmed al-Ahmed dérange autant : parce qu’il montre, de façon implacable, que c’était possible. Possible de ne pas se coucher. Possible de ne pas fuir. Possible d’être du côté de la vie, tout de suite, sans attendre les consignes, sans attendre les hashtags, sans attendre que l’époque soit “prête”.
Ce héros ne nous demande pas de devenir des kamikazes de la vertu. Il nous renvoie simplement à l’essentiel : une société ne tient pas par ses slogans, mais par ses réflexes moraux.
Quand la haine se manifeste, la question n’est pas “qu’en pense-t-on ?” La question est : que fait-on ?
On ne vous demande pas d’être parfaits. On vous demande d’être présents.
On ne vous demande pas de parler fort. On vous demande de ne pas vous taire quand le mal avance.
On ne vous demande pas de vivre dans la peur. On vous demande de cesser de faire porter la peur aux victimes.
Alors oui : le temps du silence est passé. Et le temps des discours creux aussi. Car les mots qui n’empêchent rien, les hommages qui ne protègent personne, les minutes de silence qui remplacent les minutes de courage… tout cela finit par ressembler à une mise en scène.
À Sydney, un homme a prouvé que le sens de l’histoire peut basculer dans une seconde : celle où quelqu’un décide que non, cette fois, on ne laissera pas faire. The Guardian+1
Et cette seconde pose à l’Europe une question embarrassante : combien d’entre nous sont prêts à faire, ne serait-ce qu’un dixième de ce geste — dans leur rue, leur entreprise, leur université, leur parti, leur syndicat, leur cercle d’amis ?
À Sydney, un homme a agi ; et des millions se sont reconnus dans leur inertie.
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