Tribune | « Éclairer la lanterne: quand la culture déjoue les aveuglements »

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Chères et chers camarades de la CGT Musique,

Quand des syndicalistes du spectacle se trompent d’adversaire, c’est la culture qui trinque. Or la culture, vous le savez, n’est ni un drapeau de circonstance, ni un slogan jetable : c’est une éthique du réel, un héritage de luttes, un devoir de transmission. C’est précisément pour cela qu’il faut, fraternellement mais nettement, éclairer quelques lanternes aujourd’hui.

Le 26 décembre 1936 naît l’Orchestre de Palestine. Oui : de Palestine. Son fondateur, le grand violoniste Bronislaw Huberman, musicien juif d’origine polonaise, a déjà compris l’orage qui s’abat sur l’Europe. Des dizaines de musiciens juifs — parmi les meilleurs pupitres d’Allemagne, d’Autriche et, bientôt, de France — sont expulsés des orchestres, boycottés, ostracisés, uniquement parce qu’ils sont juifs. Huberman les rassemble, les protège, et leur ouvre une voie de dignité : il les persuade d’émigrer en Palestine pour bâtir un orchestre neuf, libre, à Tel-Aviv, littéralement « sur les dunes ».

Ce geste n’est pas seulement artistique. C’est un acte antifasciste concret, une grève de la fatalité, une solidarité organisée. Exactement ce que le syndicalisme aime célébrer quand il ne s’égare pas.

On l’ignore trop: cet orchestre a été conçu, à l’époque des kibboutzim, comme une coopérative indépendante. Les musiciens n’y sont pas de simples exécutants interchangeables : ils en sont les propriétaires et les gérants. Autogestion, gouvernance collective, sécurité matérielle par le commun du travail — difficile de trouver plus conforme à un imaginaire CGT quand il s’agit d’« améliorer le sort de celles et ceux qui vivent de leurs métiers ».

Au lieu de projeter sur cet orchestre des fantasmes importés, on pourrait y voir un laboratoire social réussi: la preuve qu’un collectif d’artistes peut tenir dans la durée, sans renoncer ni à l’excellence ni à la justice interne.

L’Orchestre de Palestine n’a pas seulement monté des symphonies: il a sauvé des vies. Il a rendu à des travailleurs de l’art — oui, des travailleurs — leur gagne-pain, leur dignité, leur voix. C’est la plus belle définition d’une conquête sociale : créer des conditions où le talent, le labeur et l’étude redeviennent possibles malgré la barbarie.

Quand un orchestre naît pour soustraire des musiciens à la persécution raciale, il mérite, au minimum, respect et gratitude. Et, pour tout syndicaliste, il devrait inspirer admiration.

Les mots d’ordre simplistes — boycotts pavloviens, indignations sélectives, procès en illégitimité — ne font pas une politique culturelle. Ils appauvrissent la pensée, contredisent l’idéal d’émancipation et blessent la mémoire des luttes. Ici, l’évidence s’impose : cet orchestre n’est pas l’ennemi des travailleurs du spectacle ; il en est un frère d’armes, né d’un refus de l’exclusion, structuré par la coopération, porté par la transmission.

Nous vous invitons donc à faire ce que la culture demande quand les temps deviennent confus : relire l’histoire, regarder les faits, sortir des réflexes de meute. L’ignorance militante n’est jamais un progrès social.

Chères et chers camarades, vous vous honoreriez à :

  • Reconnaître publiquement l’histoire de l’Orchestre de Palestine, matrice d’un ensemble coopératif exemplaire.
  • Rappeler que la lutte contre le fascisme et le racisme passe aussi par la protection des artistes et la liberté de jouer.
  • Encourager vos adhérents — musiciens, techniciens, enseignants — à assister aux concerts de cet orchestre, à les applaudir et à dialoguer avec ses membres sur leurs pratiques d’autogestion.
  • Proposer une rencontre syndicale et professionnelle autour de ce modèle coopératif : gouvernance, conventions internes, conditions de travail, formation, transmission.


Fraternellement,

Signataires : artistes, techniciens, responsables culturels, citoyens attachés à l’histoire et à la dignité du travail artistique.

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