L’Israélien Abe Moses : « Je suis prêt à ce que le meurtrier palestinien de ma famille soit libéré» Une leçon de dignité et de patriotisme.

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ENTRETIEN. Pour permettre la libération d’otages du Hamas, un Israélien explique ne pas s’opposer à la remise en liberté du meurtrier palestinien de sa femme et son fils.

LE POINT – Propos recueillis par Emmanuelle Elbaz-Phelps, correspondante à Tel-Aviv

Libération de prisonniers palestiniens par Israël dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu le 25 janvier 2025.
Libération de prisonniers palestiniens par Israël dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu le 25 janvier 2025. © Mohammed Salem/Reuters

Dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu à Gaza et de libération des otages conclu avec le Hamas – quatre jeunes femmes âgées de 19 et 20 ans, guetteuses de Tsahal kidnappées le 7 octobre 2023, ont été relâchées samedi 25 janvier –, le gouvernement israélien s’est engagé à libérer des centaines de prisonniers palestiniens. Parmi eux, non seulement des hommes et des femmes en détention administrative qui n’ont jamais été jugés, mais aussi des meurtriers condamnés à perpétuité, commanditaires ou auteurs directs d’une ou plusieurs attaques terroristes assassines.

Abe Moses, dont l’épouse et leur fils de 5 ans ont été brûlés à mort dans une attaque au cocktail Molotov en 1987, explique pourquoi il accepte la remise en liberté du meurtrier de sa famille, Mohammed Daoud, deux fois condamné à perpétuité.

Le Point : Pouvez-vous raconter l’attaque dont vous et votre famille avez été victimes ?

Abe Moses : C’était en avril 1987, juste avant la fête de Pessah [la Pâque juive, NDLR]. Ma femme et moi sommes partis en direction de Tel-Aviv à 18 h 45, avec nos trois enfants et l’un de leurs amis, acheter des provisions pour la fête. Sur la route, depuis notre domicile à Alfei Menashe [une colonie de Cisjordanie proche de la Ligne verte, NDLR], un être infâme a lancé un cocktail Molotov sur notre voiture. La bouteille a brisé la vitre du côté de ma femme, Ofra, et s’est écrasée à l’intérieur. Les sièges étaient en tissu et en mousse, la voiture a pris feu immédiatement. J’ai sauté à travers les flammes et sorti les enfants que j’ai pu attraper. Je les ai fait rouler par terre, puis j’ai essayé d’atteindre la portière de ma femme pour l’ouvrir. La voiture était dévorée par les flammes.

Abe Moses et ses enfants Tal et Adi.
 ©  DR
Abe Moses et ses enfants Tal et Adi.© DR

Votre femme était enceinte…

Oui, à un stade avancé de sa grossesse. Je n’ai pas réussi à ouvrir sa porte. Ma fille de 8 ans et mon fils de 13 ans et demi criaient : « Papa, sauve maman ! Sauve maman ! » Ils ont vu leur mère brûler vive. Elle avait à peine 34 ans. Nous avons tous été gravement blessés. Trois mois plus tard, mon fils Tal, âgé de 5 ans, a succombé à ses blessures.

Ofra, la femme d'Abe Moses et leur fils Tal, 5 ans.
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Ofra, la femme d’Abe Moses et leur fils Tal, 5 ans.© DR

Le meurtrier, Mohammed Daoud, a-t-il regretté son geste ?

Jamais. Quelques semaines plus tard, il a recommencé. Il a blessé une autre famille. Son objectif était d’impressionner une organisation terroriste pour y être accepté. Le Shin Bet [le service de sécurité intérieure israélien, NDLR] l’a appréhendé huit mois après notre attaque. Je me suis rendu à toutes les audiences au tribunal. Je l’ai regardé droit dans les yeux. C’est un faible. On leur raconte qu’ils sont des « combattants de la liberté ». Contre des bébés, contre des enfants ? Qu’il aille lutter contre des soldats, pas contre des civils.

En réalité, c’est ma famille et moi qui avons été condamnés à perpétuité.

Pendant le procès, vous aviez souhaité la peine de mort contre lui.

Oui. Il a été condamné deux fois à la réclusion à perpétuité, mais je voulais la peine de mort. Deux juges ont tranché en faveur de la peine capitale, mais le troisième s’y est opposé. Il aurait fallu une décision unanime. Quoi qu’il en soit, le président de l’État l’aurait gracié [en Israël, la peine de mort, qui est légale, n’est pourtant plus appliquée depuis l’exécution du nazi Adolf Eichmann en 1962, NDLR]. Pendant son incarcération, il s’est marié et a eu deux enfants. L’Autorité palestinienne lui paie un salaire mensuel à ma connaissance de 14 000 shekels [environ 3 700 euros, NDLR] et chez lui, à Qalqilya [ville de Cisjordanie, NDLR], c’est un héros. Sa photo est accrochée dans les rues. En réalité, c’est ma famille et moi qui avons été condamnés à perpétuité.

Ofra, la femme d'Abe Moses et leurs enfants Tal et Adi.
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Ofra, la femme d’Abe Moses et leurs enfants Tal et Adi.© DR

Pourtant, vous vous êtes rendu à la Knesset pour demander qu’il soit libéré si cela pouvait faciliter la libération d’otages retenus à Gaza. Avez-vous été contacté à son sujet ?

Pas encore, mais son nom sera certainement discuté dans le cadre de la deuxième phase de l’accord [qui doit commencer après une première phase de six semaines, NDLR]. Chaque fois qu’il y a eu une libération de prisonniers palestiniens des prisons israéliennes dans le cadre d’un accord, le Hamas a exigé sa libération. C’est une idée à laquelle je me suis fait depuis longtemps. Déjà, dans les années 1990, après l’enlèvement de Ron Arad [militaire israélien fait prisonnier en 1986 au Liban, NDLR], j’étais allé voir sa mère. Je lui avais dit que j’étais prêt à ce que cet homme ignoble, le meurtrier de ma famille, soit libéré si cela pouvait contribuer à ce qu’elle prenne son fils Ron dans ses bras. Pareil pour [le soldat]

Gilad Shalit, j’étais prêt à ce que ce terroriste soit libéré si cela pouvait contribuer à ramener Gilad à ses parents.

Daoud aurait pu être libéré en 2014 dans le cadre de négociations entre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne. Son nom avait été validé des deux côtés, et vous y étiez prêt, mais votre fille a fait campagne contre.

Oui, c’était trop dur à supporter. Au bout du compte, la quatrième phase de l’accord n’a jamais eu lieu, il n’a donc pas été libéré. Mais cette fois, c’est différent, mes enfants sont aussi de cet avis. Tous ces otages, tous ces civils enlevés à Gaza, cela n’est jamais arrivé dans l’histoire du pays. Nous devons absolument y remédier. On m’a souvent posé la question : « Comment peux-tu accepter qu’il soit libéré ? Il pourrait tuer de nouveau. » C’est vrai, il risque de tuer de nouveau. Mais ce n’est pas moi qui ai établi l’équation selon laquelle, pour obtenir la libération d’otages, on fait sortir des prisons des terroristes avec du sang sur les mains. Ce n’est pas moi, c’est le gouvernement. À lui de le surveiller et de l’empêcher de recommencer.

Non. Mais il ne faut pas qu’il retourne à Qalqilya ! Il faut l’éloigner. Qu’on le jette à Gaza, ou à l’étranger ! Je veux voir d’autres images émouvantes comme celle de la mère de Romi [Gonen, l’une des trois otages libérées le 19 janvier, NDLR] qui a enfin pu embrasser sa fille. Je respecte quiconque s’oppose à cet accord, mais, personnellement, je pense que ces familles doivent retrouver leurs proches. Malheureusement, pour certaines, ce sera dans des cercueils, mais pour d’autres, ce sera debout. Si je peux y contribuer, j’en serai heureux. Quant à moi, je ne peux plus prendre dans les bras ma femme, Ofra, ni mon fils Tal. Ils me manquent terriblement. Si la libération de cet être détestable peut permettre à des familles de se retrouver et de se serrer dans les bras, il faut le faire.

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