L’étoile jaune d’Eden Golan ou l’infamie de Malmo Par Marc Knobel*
TRIBUNE. L’historien Marc Knobel explique en quoi le boycott de la candidate israélienne à l’Eurovision, Eden Golan, et d’Israël est dangereux.
La performance d’Eden Golan lors de l’Eurovision 2024 à Malmö, en Suède. © Martin Meissner/AP/Sipa
Je n’ai que très rarement écouté l’Eurovision dans ma vie. Mais, cette fois-ci, j’étais littéralement accroché à mon poste de télévision. Parce que j’attendais avec une certaine fébrilité et une grande inquiétude que la jeune et talentueuse artiste israélienne Eden Golan se produise. Depuis plusieurs jours, je voyais monter cette tension perceptible et dont les médias se faisaient l’écho. Cette avalanche de déclarations ou de tweets incendiaires, exigeant qu’Eden soit interdite d’Eurovision.
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Toute la cohorte des Insoumis, d’islamo-gauchistes et d’autres s’y collaient, les uns après les autres, pendant que les réseaux s’enflammaient. Comme si le monde allait se porter mieux si cette jeune femme de 20 ans était empêchée de chanter. Je dis bien chanter et non tenir un meeting électoral. La punition (collective) tombait sur elle, sans appel. Son crime impardonnable ? Être israélienne. Sa double peine ? Devoir parler des souffrances qui ont été perpétrées par les terroristes du Hamas contre les Israéliens le 7 octobre 2023. Cette avalanche de haine, « un pogrom au XXIe siècle », dont Le Point avait fait l’incroyable et terrible récit (aux éditions Flammarion/Le Point).
Il y avait aussi ces manifestations hostiles et bruyantes, ces rassemblements devant l’hôtel où Eden dormait, devenu comme un fort Chabrol, que les policiers protégeaient fébrilement. L’inénarrable Greta Thunberg ameute les fonds et les arrière-cours du pro-palestinisme militant. Cette fois, il n’était pas question de pâquerettes et de biodiversité, mais de ces criminels que seraient… tous les Israéliens. Et, pour qu’Eden se déplace, il a fallu un convoi impressionnant pour la protéger, comme on protégerait un président américain en exercice. Comment une telle folie a-t-elle pu se produire ?
Comment cette jeune femme a-t-elle pu supporter une telle pression ? Comment a-t-elle pu ne pas s’écrouler ? Quelle force y avait-il en elle pour qu’elle continue à chanter alors que les sifflets et les huées redoublaient ? Les rageurs s’en sont donné à cœur joie, se voyant comme de gentils justiciers. En oubliant qu’Eden souffre elle aussi, non seulement parce que des Palestiniens meurent dans des bombardements terribles, des destructions affreuses et c’est une tragédie, mais encore que des prisonniers israéliens crèvent également dans les geôles du Hamas.
Alors ? Ces braves gens ont inventé un concept : boycotter
Les occasions de s’indigner ne manquent pourtant pas pour nos esprits blasés, bien nourris et seulement menacés par les intempéries. Pourtant, ces mêmes esprits, bardés de bonne conscience, privilégient un seul motif d’indignation : les méfaits supposés (ou réels) d’Israël. Pourquoi faut-il boycotter le seul Israël ? De plus, dans ces campagnes militantes, un amalgame est souvent commis entre Israël, les Juifs et le capitalisme international. Un amalgame qui a des consonances historiques trop fortes pour qu’on le laisse se développer en toute impunité.
Par ailleurs, le boycott a pour but de réduire une nation, composée pourtant d’individus aux opinions et aux engagements aussi différents que ceux qui peuvent exister en France ou ailleurs, en un unique ennemi désincarné et sans humanité. Il s’agit donc d’une punition collective aberrante. Une punition qui s’est abattue sur la jeune et jolie Eden. Et, dans cette logique manichéenne, les membres de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël ne peuvent que dérouter, dégoûter et braquer les Israéliens et tous ceux qui militent et œuvrent pour une réconciliation israélo-palestinienne et israélo-arabe. Prenons un exemple. Là se situe sans doute le paradoxe étonnant de la position défendue par les membres de BDS, lorsqu’ils veulent boycotter les films, les cinéastes, les comédiens ou les romans, les romanciers, les philosophes israéliens. La plupart de ces écrivains et de ces cinéastes se trouvent être les meilleurs avocats de la cause palestinienne au sein de la société israélienne. Beaucoup d’entre eux sont les porte-parole de ceux qui, depuis des années, se battent pour la création d’un État palestinien à côté d’Israël.
Mais les boycotteurs n’en ont que faire. Il s’agit en vérité de nazifier tout Israël, incroyable paradoxe que l’on inflige à un peuple qui a connu le plus grand génocide de l’Histoire et dont chaque famille garde en mémoire un numéro tatoué sur l’avant-bras de l’un de nos déportés morts ou survivants.
Alors, Eden a supporté cette haine avec courage et volonté. Elle n’a pas plié. Sa chanson a raconté une tragédie. Cependant, ses larmes ont coulé après que la chanson a été chantée par elle. Des larmes parce que la pression avait été trop forte. Des larmes parce que l’on avait collé sur son cœur une insupportable étoile jaune. Il restera de tout cela une infamie, qui s’est abattue sur la ville de Malmö et sur le concours de l’Eurovision. Mais, au fond, c’est d’Eden dont on a parlé et c’est Eden surtout qui a conquis la sympathie, l’amitié et, peut-être même, l’amour du public.
* Marc Knobel est historien. Il a publié plusieurs ouvrages, dont, en 2012, « L’Internet de la Haine » (Berg International, 184 pages). Il a publié chez Hermann en 2021 « Cyberhaine : propagande et antisémitisme sur Internet ».
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