#MeToo sauf si vous ĂȘtes juive
Crimes sexuels du Hamas en IsraĂ«l : lâinquiĂ©tant silence des organisations internationales
Les preuves sâaccumulent sur les viols commis lors de lâattaque du Hamas le 7 octobre. Organisations internationales et fĂ©ministes du monde entier restent pourtant mutiques.

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Une semaine. C’est le temps qu’il aura fallu Ă ONU Femmes pour communiquer aprĂšs les attaques terroristes du Hamas en IsraĂ«l. « Et c’est peu de dire que la rĂ©action fut dĂ©cevante », commence Sarah Weiss, une ancienne diplomate qui a longtemps travaillĂ© au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres israĂ©lien et qui est chargĂ©e depuis le 7 octobre de rĂ©diger les documents officiels sur ces crimes pour le compte de Gilad Erdan, l’ambassadeur d’IsraĂ«l auprĂšs des Nations unies.
Le message a Ă©tĂ© publiĂ© sur Twitter le 14 octobre : « L’ONU Femmes condamne les attaques contre les civils en IsraĂ«l et dans les territoires palestiniens occupĂ©s et est profondĂ©ment alarmĂ©e par l’impact dĂ©vastateur sur les civils, notamment les femmes et les filles. » Pas un mot sur les viols et sĂ©vices sexuels commis le 7 octobre, alors mĂȘme que les images de propagande des terroristes montrant des corps de femmes suppliciĂ©s circulaient dĂ©jĂ partout sur les rĂ©seaux sociaux. Pas un mot, non plus, sur les otages emmenĂ©es dans la bande de Gaza.
Assise sur un banc de Tel-Aviv, Ă la nuit tombĂ©e, Sarah Weiss, regrette cette position ambiguĂ«, d’autant plus qu’elle explique avoir envoyĂ© dĂšs le 7 octobre plusieurs courriers au Conseil de sĂ©curitĂ© de l’ONU pour alerter sur les crimes commis Ă l’encontre des femmes. « Sima Bahous, la directrice d’ONU Femmes, a reçu ces lettres, et n’a pas jugĂ© bon d’y rĂ©pondre. Qu’il s’agisse des publications officielles, ou des siennes, ça ne raconte l’histoire que sous un certain angle. »
Le 8 octobre, au lendemain du « shabbat noir », Sima Bahous publiait en effet ce tweet, qui reprend la mĂȘme terminologie que celle mise en avant par les Nations unies : « L’escalade des hostilitĂ©s en IsraĂ«l et dans les territoires palestiniens occupĂ©s est extrĂȘmement prĂ©occupante. Il est impĂ©ratif que tous les civils, y compris les femmes et les filles, soient protĂ©gĂ©s. » Depuis, Sima Bahous n’a de cesse de publier des messages concernant les civils palestiniens. Rien sur les femmes victimes de crimes sexuels en IsraĂ«l, alors que les preuves sont dĂ©sormais plus que nombreuses. « Ce silence la dĂ©shonore », tranche Sarah Weiss.
« Leur silence est la plus grande des trahisons »
Le 25 octobre, c’est Antonio Guterres, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’ONU, qui dĂ©clarait : « J’ai condamnĂ© sans Ă©quivoque les actes de terreur horribles et sans prĂ©cĂ©dent perpĂ©trĂ©s par le Hamas en IsraĂ«l le 7 octobre. » Et d’ajouter : « Il est aussi important de reconnaĂźtre que les attaques du Hamas ne se sont pas produites hors de tout contexte. » « Mais comment peut-on contextualiser des viols et des bĂ©bĂ©s brĂ»lĂ©s ? » interroge la diplomate.
CĂŽtĂ© Unicef ou Cedaw (le ComitĂ© pour l’Ă©limination de la discrimination Ă l’Ă©gard des femmes), mĂȘme silence assourdissant. Dans un communiquĂ©, Cedaw dĂ©clare condamner « l’escalade de la violence au Moyen-Orient qui a tuĂ© des milliers de civils, dont des femmes et des enfants », sans plus de prĂ©cisions sur les violences spĂ©cifiques commises sur les femmes le 7 octobre. « Ils ont publiĂ© des dĂ©clarations sur les violences sexuelles dans plusieurs contextes, quand Daech contrĂŽlait une partie de la Syrie, au sujet de la guerre en Ukraine. Mais tout ce qu’ils font ici, c’est appeler trĂšs faiblement toutes les parties âĂ aborder systĂ©matiquement la dimension du genre dans le conflitâ », dit encore Sarah Weiss. Dans une tribune publiĂ©e le 22 novembre par le magazine amĂ©ricain Newsweek, Michal Herzog, premiĂšre dame d’IsraĂ«l, a elle-mĂȘme pris la parole sur la question, Ă©crivant que le « silence des instances internationales face aux viols massifs perpĂ©trĂ©s par le Hamas est une trahison envers toutes les femmes ».
Cochav Elkayam Levy, une professeure de droit international qui a créé une commission civile « sur les crimes du Hamas commis le 7 octobre contre les femmes et les enfants » une semaine aprĂšs les attaques, explique se sentir abandonnĂ©e par ces organisations internationales. « Elles sont censĂ©es assurer les droits des femmes, mais sont restĂ©es silencieuses, n’ont rendu publique aucune information alors mĂȘme que c’est le crime le plus documentĂ© de l’Histoire. Leur silence est la plus grande des trahisons », dit-elle, dans un sanglot. C’Ă©tait quelques jours avant le 18 novembre. Ce jour-lĂ , un centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles d’une universitĂ© canadienne signait une lettre ouverte niant que les femmes aient Ă©tĂ© violĂ©es le 7 octobre. La colĂšre a alors supplantĂ© les larmes.
« Je suis Ă court de mots. Nous avons vĂ©cu un enfer et nous luttons toujours. Des femmes et des filles ont Ă©tĂ© assassinĂ©es, torturĂ©es, terrorisĂ©es et violĂ©es de la maniĂšre la plus inhumaine qui soit. Les preuves sont accablantes et indĂ©niables. Et encore une fois, le mĂȘme mĂ©canisme de dĂ©ni infligĂ© aux victimes individuelles de viol est dĂ©sormais infligĂ© Ă nous toutes â femmes, filles, mĂšres, sĆurs et filles en IsraĂ«l. Par qui ? interroge Cochav sur son compte Twitter, Par ceux qui sont censĂ©s savoir. Comprendre. Croire. »
#MeToo sauf si vous ĂȘtes juive
En IsraĂ«l, un collectif de femmes a créé un hashtag #MeTooUnlessYouAreAJew (#MeToo sauf si vous ĂȘtes juive), et lancĂ© une campagne avec des photos de femmes israĂ©liennes accompagnĂ©es de ces mots : « UN Women, UNacceptable, UNforgivable, UNjustified » (« ONU Femmes, inacceptable, impardonnable, injustifé »). Dans une vidĂ©o tournĂ©e en noir et blanc et publiĂ©e sur leur compte Instagram, une jeune femme en pleurs tĂ©moigne : « Quand vous ĂȘtes victime de viol et que le reste du monde demande des preuves, nie, minimise ou justifie votre viol, c’est comme si vous deviez le revivre encore et encore. »
« Normalement, les fĂ©ministes du monde entier se rejoignent sur cette expĂ©rience trĂšs universelle de souffrance qu’est le viol. Mais d’un coup, les femmes juives ne mĂ©ritent pas les âje vous croisâ du reste du monde », tĂ©moigne aussi Ayelet Razin Bet Or, ancienne directrice de l’AutoritĂ© pour la promotion de la condition fĂ©minine en IsraĂ«l. OĂč sont, il est vrai, toutes les cĂ©lĂ©britĂ©s du monde entier qui tenaient dans leurs mains des panneaux #BringBackOurGirls, quand, en 2014, 276 lycĂ©ennes de Chibok ont Ă©tĂ© enlevĂ©es par Boko Haram au Nigeria ? « On a bien compris qu’on Ă©tait seules dans notre combat », souffle Ayelet.
Le 21 novembre, l’ambassadeur Gilad Erdan, a dĂ©cidĂ© de renvoyer un courrier Ă Sima Bahous, que Le Point a pu consulter. « Malheureusement, malgrĂ© la rĂ©ception de descriptions trĂšs crues rĂ©alisĂ©e par notre mission â ainsi que des informations supplĂ©mentaires devenues depuis publiques et les innombrables lettres et pĂ©titions qui vous ont Ă©tĂ© envoyĂ©es par la sociĂ©tĂ© civile israĂ©lienne â, l’organisation que vous dirigez et vous-mĂȘme ĂȘtes restĂ©es complĂštement et totalement silencieuses face Ă ces crimes, sans aucune condamnation des actes de viols et violences sexuelles commis par le Hamas, ni aucune expression d’une quelconque solidaritĂ© pour les femmes et filles d’IsraĂ«l. » DĂ©but novembre, l’association Paroles de femmes lançait quant Ă elle une pĂ©tition pour la reconnaissance d’un fĂ©minicide de masse commis en IsraĂ«l le 7 octobre. Mais encore une fois, et comme depuis le jour des massacres, les fĂ©ministes du monde entier sont restĂ©es silencieuses.
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