Jour 23 : Le sentiment d’abandon des victimes
Pour ce vingt-troisième jour d’audience, les témoins déplorent le manque de prise en charge. À la culpabilité d’avoir survécu s’ajoute la colère de se sentir abandonné.
EXCLU WEB
« On se rappelle de nous pour les commémorations mais le reste de l’année, on s’en fiche » La palette d’émotions qui vient peindre chaque témoignage à la barre se situe le plus souvent dans le champ de la souffrance : la culpabilité, la tristesse, le regret… Mais la souffrance se retrouve aussi dans la colère. Elle est là, tapie, prête à surgir à chaque coin de phrase. Chez certains témoins, la colère bouillonne, surplombe tout.
Pour Sophie, qui se trouvait au Bataclan avec une amie, la colère étrangle sa voix, elle qui déplore l’abandon des victimes face à leur sort : « Quand je suis revenue sur Paris, j’ai paniqué, je me suis dit que les terroristes allaient venir me chercher pour finir le travail. J’ai appelé l’assistance psychologique, on m’a raccroché au nez en me disant de rappeler quand je serais calmée. Par la suite, j’ai vu un psychologue, apparemment une ponte, à Necker. Quand je lui ai raconté pourquoi je venais, il s’est endormi. Je n’y suis jamais retournée. Trois ans de calvaire psychologique ont commencé : ce psy qui me demandait avant chaque rendez-vous le remboursement de la Sécu, celui qui a fondu en larmes quand je lui ai raconté pourquoi je venais et que j’ai dû réconforter pendant 1h… »
Hugo, 20 ans à l’époque, en veut à l’État « qui s’est montré incapable de nous protéger, qui a échoué dans son contrat social. » Il en veut aux politiques qui instrumentalisent ces attentats pour « servir un agenda », attend des réponses de ce procès, « que l’État fasse le point sur ses réussites et ses défaillances dans l’antiterrorisme mais aussi dans le suivi des victimes. »
Ce suivi, Shaili, la vingtaine aussi, n’en a jamais vu la couleur : « j’ai vu une quantité monstre de psys mais je n’ai jamais été aidée. Depuis le Covid, je ne suis plus du tout suivie mais je n’ai plus la force de trouver quelqu’un. » Sa colère, elle la garde pour elle, contre elle. Sa bouche se tord quand elle raconte son entourage qui lui a tourné le dos, ce procès où elle n’attend rien. Son corps tremble quand elle s’expose face à la cour, face à tous ces inconnus : « Depuis ce soir-là, j’ai pris 20 kilos, j’ai une mémoire défaillante. Je suis dépressive, suicidaire, j’ai des sautes d’humeur aberrantes, explosive, irrégulière. J’ai 24 ans et le temps file sans moi. Je n’ai qu’un bac en poche et aucune perspective. »
Grégory et Geoffrey, deux amis, ont de leur côté une colère sardonique : « Les accusés ont de la chance d’être jugés en France. Je voudrais que ces gens souffrent, qu’ils aillent au bagne. » Sans surprise, dans le box en verre, on ne bronchera pas. •
Newsletter spéciale procès du 13 novembre 2015
Trois nouveaux dessinateurs, venus de la BD et de l’illustration, Benoît Springer, Corentin Rouge et Emmanuel Prost, suivent le procès historique des attentats de novembre 2015.
Tous les jours, vous retrouverez sur le site de Charlie leurs dessins et leurs croquis de l’audience du jour et chaque fin de semaine sur charliehebdo.fr, vous pourrez lire le compte rendu de la journaliste Sylvie Caster.
Ne manquez pas ces rendez-vous pour suivre ce moment historique, comme si vous y étiez.
Source : Charlie Hedbo
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