[Nouvel article] En lisant Pierre Lurçat, son article intitulé « Sarah, Éric, Alain et les autres… Lettre à trois Juifs inauthentiques, à la veille de Yom Kippour »

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En lisant Pierre Lurçat, son article intitulé « Sarah, Éric, Alain et les autres… Lettre à trois Juifs inauthentiques, à la veille de Yom Kippour »

 

Pierre Lurçat a publié sur le site Tribune Juive, le 19 septembre 2021, un article intitulé : « Sarah, Éric, Alain et les autres… Lettre à trois Juifs inauthentiques, à la veille de Yom Kippour ». C’est un titre fort et loin de moi l’envie de polémiquer.

Je me permets de mettre cette lettre en lien :

https://www.tribunejuive.info/2021/09/19/pierre-lurcat-sarah-eric-alain-et-les-autres-lettre-a-trois-juifs-inauthentiques-a-la-veille-de-yom-kippour/

Je ne suis pas juif et vais m’efforcer de livrer quelques réflexions et impressions car cette lettre de Pierre Lurçat remue en moi bien des choses, directement ou indirectement et dans un grand désordre que j’aurai probablement de la peine à ordonner et ne présenterai pas dans leur totalité.

Le fait juif m’a interrogé dès mon plus jeune âge. Tout d’abord lors des offices religieux. J’ai très vite pressenti, d’une manière confuse et pourtant déterminée, que le christianisme s’était construit sur un rapt. Une fois encore, cet article n’est pas un règlement de compte – et, ainsi que je le répète, je ne suis pas préposé à un hit-parade religieux avec distribution des prix, avec prix d’excellence pour le judaïsme. Non, il s’agit d’autre chose, de quelque chose qui me suit depuis l’âge de mes dix-douze ans, d’un malaise d’abord diffus et qui n’a cessé de s’accentuer mais aussi de s’alléger car se précisant par l’étude. Récemment, j’ai fait une halte, je me suis regardé (sans aucun narcissisme) et je me suis demandé pourquoi ce questionnement envers le judaïsme, le peuple juif et Israël, pourquoi ma femme et moi avons prénommé nos enfants Sarah, Rachel et David ainsi que je l’ai écrit dans un précédent article. Il est tant question de prénoms avec Éric Zemmour qui pose à ce sujet d’intéressants dilemmes que j’y reviens.

Il y a eu tout d’abord cette sensation de rapt ou, plus exactement, d’appropriation et de dissimulation avec détournement du sens de la part des Chrétiens – mais aussi des Musulmans qui se sont servis chez les uns et chez les autres. Tout en écoutant la lecture du Nouveau Testament (une désignation bien ambiguë) et les homélies j’éprouvais un malaise non pas permanent mais récurrent, la sensation de m’être installé – d’avoir été installé – dans une demeure pleine de choses volées dans laquelle on ne cessait de se justifier en laissant entendre qu’on les avait considérablement améliorées, qu’on avait fait de ces choses tout juste bonnes pour la brocante voire la décharge des choses neuves – d’où ces désignations passées dans le langage courant et employées sans y penser : Ancien Testament et Nouveau Testament.

 

Léon Ashkénazi (1922-1996)

 

La lecture assidue de penseurs juifs m’a grandement aidé à sortir de mon malaise et à m’apporter non pas des réponses (il n’y a pas de réponses) mais à envisager des axes de réflexion, des espaces à peine soupçonnés. Ainsi ai-je lui les deux gros volumes de Léon Ashkénazi auquel je reviens régulièrement, « La parole et l’écrit », stylographe en main. Le livre d’Élie Benamozegh, « Morale juive et morale chrétienne » m’a bouleversé, il m’a ouvert des portes de lumière si je puis dire. Je me permets à ce propos de vous citer le passage d’une analyse de Shmuel Trigano à propos de ce livre (un document PDF consultable en ligne dans son intégralité, sous le titre « La dimension politique de l’Alliance dans “Morale juive et morale chrétienne” d’Élie Bénamozegh » : « Dans “Morale juive et morale chrétienne”, en effet, l’axe principal de la comparaison du christianisme et du judaïsme est le rapport au politique. Il est sous-tendu par une théorie générale sur la nature des deux religions. Élie Benamozegh y remet en question les termes classiques de cette comparaison – qui est la finalité de ce livre – en avançant qu’elle a été jusqu’à ce jour défaillante dans la mesure où un aspect capital du judaïsme (qu’il définit – sauf une fois –, en vertu sans doute d’un italianisme, par le terme d’« hébraïsme ») est resté occulté.

Pour le mettre en valeur, il élabore ainsi une théorie générale qui lui fournit sa grille d’analyse et qu’il réitère à de nombreuses reprises comme un leitmotiv. Elle tient en un mot : le judaïsme est un système double, à la fois un code civil et une morale, une politique et une religion. Le christianisme a annulé en lui le code pour ne garder que la morale. Sur ces prémisses-là, la stratégie interprétative que développe Élie Benamozegh mérite d’être soulignée, tant elle est dialectique. Elle vise à écarter la critique chrétienne des valeurs juives, accusées de prôner une loi (un code) sans intériorité (une morale), en faisant de cette critique même le symptôme d’une défaillance cachée du christianisme. En ne voyant que le code dans le judaïsme, pour le dénier, il révèle son incapacité à concevoir la nécessité de ce code… Élie Benamozegh retire ainsi un double bénéfice de sa démonstration, faisant d’une pierre deux coups. La récusation chrétienne de l’enseignement de la Tora distinguant la politique de la morale, séparant la politique de la religion, est la cause de cette défaillance. Son désintérêt pour le politique a déteint sur toute sa morale ». A ce propos, mes lectures de Shmuel Trigano m’ont également grandement aidé. Cet homme est intellectuellement une armée à lui tout seul. Et je pourrais citer bien d’autres noms.

Mais je ne vais pas me perdre en références. Simplement, je le redis, mon attirance pour le monde juif est venue d’un malaise diffus puis de plus en plus aigu envers le christianisme dont je ne nie pas les grandeurs et les mérites – ses grandeurs et ses mérites qui l’ont accentué. A ce malaise religieux, et parallèlement, s’est ajouté l’antisémitisme, soit une sidération face à la Shoah, sidération qui n’a fait que s’amplifier, mais aussi face à l’antisémitisme courant, quotidien, des réflexions faites en passant comme si l’affaire était entendue…

L’antisémitisme courant, je l’ai connu plutôt « aimable » mais cette « amabilité » me l’a rendu encore plus étrange et douloureux. Je me souviens, au cours d’une lecture dont je ne retrouve pas la référence, d’avoir relevé l’expression polite antisemitism. Il se pratique dans la bonne société. Ce fut mon second contact avec la chose juive. Un contact religieux par le négatif puis un contact civil par le négatif. Ma perplexité puis la colère m’incitèrent à l’étude, je n’avais pas le choix, à moins de tomber dans l’accablement, l’hébétude ou une colère informe. Je savais que l’étude serait sans fin mais qu’elle me donnerait des forces pour affronter cette béance qu’est l’antijudaïsme et plus encore l’antisémitisme – et j’en viendrai à l’antisionisme.

Je pressentais que le monde juif n’était pas limité à lui-même et qu’il irriguait l’humanité. Le fait juif est considérable et il n’est pas que religieux, loin s’en faut.

On m’a accusé d’être judéolâtre, expression caricaturale qui ne me dérange en rien ; j’ai les nerfs solides, sur cette question au moins. L’antijudaïsme et l’antisémitisme (et leurs formes diverses qui peuvent être très grossières mais aussi très élaborées) et la complexité de ces deux phénomènes m’ont très vite fait comprendre que je n’avais pas affaire à un simple racisme. Assimiler l’antisémitisme à du racisme est une erreur car ce faisant on efface la spécificité de l’antisémitisme ; une erreur ou un calcul car le but de nombreux antisémites est d’effacer cette spécificité. Une fois encore, il ne s’agit pas de mettre les Juifs à part, au-dessus des autres, mais de considérer une spécificité qui de par ses origines pose plus de questions que le simple racisme. Ce dernier est non moins condamnable mais l’antisémitisme pose des questions à la fois plus particulières et plus vastes.

J’en reviens brièvement à l’antijudaïsme. J’ai souvent comparé le judaïsme à une centrale nucléaire par l’énergie qu’il met en œuvre et par la multiplicité des propositions et des interprétations qui s’en dégage. Le christianisme puis l’islam restent inexplicables sans lui ; mais plutôt que de reconnaître ce fait avec franchise, disons frontalement, l’un et l’autre se sont employés à le cacher sous des artifices théologiques ou des dénonciations empreintes de sous-entendus voire de violence.

Ces grandes religions à l’origine de grandes civilisations se sont envisagées comme des papillons en regard du judaïsme, une chenille-chrysalide, une chose devenue inutile voire quelque peu répugnante qu’il fallait oublier et faire oublier. Ainsi le christianisme et l’islam se sont-ils efforcés (et s’efforcent encore, même si le christianisme s’est adouci de ce point de vue) d’enterrer ou de brûler cette origine pour se présenter tantôt comme des immanences tantôt comme des transcendances. L’islam tient un discours sur le Coran incréé, attribut de Dieu, tout en nous serinant qu’il est venu corriger le judaïsme et le christianisme qui se sont écartés de la bonne voie. Le christianisme quant à lui s’est adonné à la théologie de la substitution qui bien que dénoncée par Vatican II reste sous-jacente à l’ensemble. Il est vrai que la remettre véritablement en question reviendrait à faire s’effondrer tout l’édifice théologique édifié par l’Église. J’interroge aussi le judaïsme parce qu’il est antérieur à ces religions, parce qu’il est le substrat que l’on a voulu effacer, un substrat toujours vivant, toujours plus vivant.

 

 

L’antisémitisme m’est apparu dans une partie de ma famille, la française, d’une manière assez particulière, il m’est apparu par le sionisme. On y était sioniste par antisémitisme, un polite antisemitism. Brièvement : on se montrait à l’occasion agacé par le Juif « qui est partout » mais qui en Israël se trouvait chez lui comme nous étions chez nous en France. Il y aurait un sketch à faire. A ce propos, je ne suis pas certain que tous mes ancêtres français se trouvaient en France lorsque Rachi de Troyes y vivait, au XIe siècle ; Rachi de Troyes, probablement l’un des plus français des Français et qui outre ses commentaires sur la totalité de la Bible hébraïque et une majeure partie du Talmud de Babylone nous a laissé des témoignages infiniment précieux sur l’ancien français. Cet homme cultivait par ailleurs sa vigne et je me vois parfois en rêve écouter cet homme tout en buvant à sa table un verre de vin de son cru. Donc, on faisait l’éloge d’Israël tout en laissant entendre qu’il faudrait que tous les Juifs s’y retrouvent et qu’ainsi on pourrait établir avec eux des relations clairement définies. « Eux aussi défendront un pays et ses frontières comme nous avons défendu les nôtres ». « L’armée d’Israël est admirable » puis, peu après, « Il y a vraiment beaucoup (trop) de Juifs dans les médias ». Je prenais note en m’efforçant de dépêtrer une affaire qui me semblait passablement empêtrée. Je ne tarderais pas à comprendre qu’une vie ne suffit pas pour appréhender tout ce qu’est l’antijudaïsme, l’antisémitisme et l’antisionisme.

L’antisionisme, autre grande affaire, une affaire de plus en plus compliquée et qui pousse des ramifications en tous sens, l’antisionisme que diffusent sans vouloir en avoir l’air les médias de France, pour ne citer que ce pays. Israël, un pays sans cesse attaqué comme s’il était coupable de tout, de l’état du monde, accusé comme les Juifs – le Juif – l’ont été et le sont encore. L’antisionisme suppure des médias qui  laissent entendre que si Israël n’existait pas le monde se porterait beaucoup mieux et que nous aurions des relations apaisées avec l’islam. On pensera que je force la note mais cette impression se renforce à chaque fois que je lis la presse mainstream française. Oui, c’est bien dans cette direction qu’elle cherche à nous engager. Israël perturbe la bonne marche du monde comme le Juif la perturbait – et la perturbe encore. A ce propos, je pourrais en revenir à ce petit livre d’Alain Finkielkraut qui m’a aidé à préciser certaines idées : « Au nom de l’Autre » sous-titré « Réflexions sur l’antisémitisme qui vient ». Ce petit livre est à mon sens l’un des livres les plus importants sur la question et sur l’état de la France aujourd’hui. Il a été écrit au début des années 2000 et, une vingtaine d’années plus tard, il n’a rien perdu de sa pertinence. Je dirais même qu’il a gagné en pertinence. Il rend compte de ce qui était reproché et de ce qui est reproché aux Juifs : hier apatrides à l’heure des nationalismes ; aujourd’hui défendant un pays à l’heure de l’Autre, à l’heure où l’on est sommé d’oublier les frontières et tout ce qui constitue un peuple. Le Juif toujours à contre-courant alors que les autres ne veulent que glisser dans le courant. En quatrième de couverture, on peut lire : « Il faut du courage pour porter une kippa dans ces lieux féroces qu’on appelle cités sensibles et dans le métro parisien ; le sionisme est criminalisé par toujours plus d’intellectuels, l’enseignement de la Shoah se révèle impossible à l’instant même où il devient obligatoire, la découverte de l’Antiquité livre les Hébreux au chahut des enfants, l’injure ” sale juif ” a fait sa réapparition (en verlan) dans presque toutes les cours d’école. Les Juifs ont le cœur lourd et, pour la première fois depuis la guerre, ils ont peur. »

J’ai quitté la France au début des années 1990, en même temps que Pierre Lurçat, après de longs séjours dans d’autres pays entrecoupés de retours en France. Je l’ai quitté pour des raisons qui ne regardent que moi mais je puis affirmer haut et fort, comme le fait Pierre Lurçat : « Je ne fais pas partie de ceux qui ont quitté la France comme on quitte un navire en perdition. Non ! J’ai suivi avec inquiétude, depuis trois décennies, le long enfoncement de mon pays d’enfance dans le marasme politique et idéologique où il se trouve aujourd’hui plongé ». Et parmi les marques de ce marasme, l’Israel bullying, comme le chante Bob Dylan dans « Neighborhood Bully ».

Je viens d’écrire que les raisons qui m’ont poussé à quitter la France ne regardent que moi ; il en est pourtant une que je ne tairai pas ici : ces sentiments négatifs toujours plus affirmés et toujours plus violents envers Israël. En Europe, ces sentiments ne se limitent certes pas à la France, mais ils ont acquis dans ce pays une tonalité particulière, sournoise, avec un antisémitisme et un antisionisme qui ne cessent de s’entortiller. Le substrat théorique antisémite est très riche en France ; et la droite n’a pas été la seule à y participer ; la gauche y est bien présente, historiquement ; et à présent c’est plutôt elle qui porte le flambeau, activée par ce qui a été justement nommé l’islamo-gauchisme. Je ne suis pas juif, je le redis, mais cet Israel bullying, révélateur d’un profond malaise aux causes multiples, m’a tant accablé que j’ai préféré aller vivre dans des pays où Israël n’est pas envisagé d’une manière systématiquement négative et où tout au moins on laisse ce pays en paix.

La lettre de Pierre Lurçat suscite en moi bien des réflexions ou, plus simplement, des impressions. Je ne m’arrêterai que sur deux d’entre elles :

Premièrement. Une expression me revient : les Juifs sont les canaris dans la mine. Cette expression fait référence à une ancienne pratique. En effet, les mineurs apportaient des canaris dans les mines de charbon. Lorsqu’ils s’arrêtaient de chanter, les mineurs évacuaient d’urgence la mine : les canaris avaient détecté une fuite de gaz… Il ne s’agit pas de limiter les Juifs au rôle de canaris dans la mine mais de signaler simplement que le départ des Juifs d’un pays est un (très) mauvais signal pour le pays, à savoir qu’un danger majeur le guette. Et je pense en particulier à la France où Pierre Lurçat et moi-même avons passé notre enfance et notre jeunesse.

Deuxièmement. La question restera sans réponse car avec des si… Si la diaspora (juive) n’avait pas été que seraient le monde dans son ensemble et le monde juif en particulier aujourd’hui ? Que sera le monde lorsque tous les Juifs (cas de figure) auront rejoint Israël, leur pays ? Je le souhaite car tel est le projet sioniste auquel je souscris comme y souscrit Pierre Lurçat, mais je ne puis m’empêcher de (me) poser la question et non sans inquiétude.

Olivier Ypsilantis

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