Les confidences de Richard Odier
Richard Odier, quels ont été vos modèles, ceux qui ont influencé votre parcours professionnel et votre engagement communautaire ?
Mes modèles ont sûrement été mon père et mon oncle, deux jeunes enfants arrêtés pendant la guerre avec une partie de leur famille. Beaucoup ont fini à Sobibor, eux ont eu la chance de s’échapper et de se construire avec cette envie de vie et de s’élever par le travail, la joie et l’imagination. Ils ont gardé cet amour de la famille, des fêtes et surtout de la générosité. Ils ont su faire circuler une parole d’espoir, d’altruisme et de rigueur au travail.
Les autres modèles, il suffit de venir au siège du FSJU, et vous trouverez leur visage sur les murs de la maison. Ils ont construit la solidarité juive française : Moïse Topiol, Nicole Goldmann, Nicole Weinberg, les familles Benhamou, Goldstein, Weill, Kraemer, Rothschild… Ils ont été des Juifs militants et des entrepreneurs. « Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, quand ? » (Maximes des Pères).
Dans l’histoire ancienne ou moderne du judaïsme, quelles figures vous semblent inspirantes ?
Nous avons eu les bâtisseurs d’Israël, les héros de la Résistance, les refuzniks, Herzl et Bernard Lazare, Hannah Szenes ou Ruth Bader Ginsburg. Les héros de nos textes nous ont donné des valeurs. Des écrivains – de Kafka à Proust, d’Appelfeld à Albert Cohen, ou de Roth à Singer – nous inspirent tous les jours. Les traits de Chagall, la perfection de Modigliani ou les couleurs de Rothko nous fascinent. Mais peut-être que ce fameux monothéisme, cet Éternel qui s’est voulu unique, nous empêche d’avoir un héros unique. C’est cela notre histoire, l’Homme est faillible et on se doit de le savoir ; à nous de chercher à travers ces héros des traces, des messages pour se trouver soi-même et être soi. Trois valeurs m’ont en tout cas permis à la fois d’être un entrepreneur puis de prendre en 2018 la direction du FSJU : révolte permanente contre l’injustice, incapacité de rester immobile en allant vers l’avant, et conscience de la chance de vivre à notre époque par rapport à celle de ma famille et de nos ancêtres. Une vie professionnelle réussie, c’est la capacité d’essayer et de recommencer.
Il nous semble que les jeunes d’aujourd’hui – et la jeunesse juive ne fait pas exception – se choisissent surtout des modèles de réussite économique et de notoriété qui ne reflètent pas nécessairement les valeurs juives. Partagez-vous ce constat ?
Non, pas du tout, la jeunesse est engagée, et nous le voyons dans le regroupement pluriel du département Noé du FSJU, où est présent l’ensemble des structures de la jeunesse. Ils sont attaqués et blessés par la crise économique, la crise sanitaire, mais la recherche de sens et l’engagement sont là. Ils sont au contraire plus intègres et ouverts que la génération précédente, la mienne. Ils savent se rendre disponibles pour le collectif, avant leur propre ego. Ils sont transparents et militants. La grande difficulté pour eux est de se construire avec des « Éclaireurs » qui n’ont pas toujours été à la hauteur des enjeux de la crise actuelle. Ils marchent vers l’avenir et nous devons les aider et leur donner les moyens de le construire.
Publié le 19/04/2021
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