Antisémitisme, financement de mosquée… La polémique à la mairie de Strasbourg en trois actes
EELV
La municipalité écolo de Strasbourg est dans la tourmente depuis le vote d’une subvention à la construction d’une mosquée soutenue par une fédération controversée. Le même jour, la majorité a refusé de reconnaître la définition de l’antisémitisme fournie par l’Alliance Internationale pour la mémoire de l’Holocauste.
Deux polémiques en une seule journée. Ce lundi 22 mars, les élus du conseil municipal à majorité EELV ont pris deux décisions qui ont suscité une vive réaction politique. D’abord le rejet d’une définition possible de l’antisémitisme, ensuite le vote d’un « principe d’une subvention » de 2,5 millions d’euros à une mosquée soutenue par une fédération liée à la Turquie et qui a refusé de signer la Charte des principes de l’islam de France.
À 39 voix contre 19 (et 1’abstention), le Conseil municipal a donc d’abord rejeté la définition de l’antisémitisme proposé par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (AIMH). Si le cœur de cette définition semble évident, les liens parfois complexes entre antisémitisme et antisionisme ont posé problème aux membres de la majorité locale.
« Ce vote se fonde sur deux points, explique à Marianne Jean Werlen, conseiller municipal en charge des cultes. Premièrement, il y a une tradition strasbourgeoise de ne jamais importer les conflits étrangers à l’intérieur des communautés religieuses locales. Deuxièmement, il est hors de question de retirer à des citoyens le droit de critiquer un État, fût-il étranger. Il faut condamner l’antisémitisme mais il faut pouvoir critiquer un État et cette définition interdit toute critique de la politique de l’État d’Israël ».
En réalité, la définition affirme clairement que « critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme ». Mais d’autres points, assimilés à de l’antisémitisme, semblent plus litigieux aux yeux des détracteurs du texte : « le reproche fait aux citoyens juifs de servir davantage Israël (…) que les intérêts de leur propre pays », « le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste » et « l’établissement de comparaisons entre la politique israélienne contemporaine et celle des Nazis ».
“UN CERTAIN MALAISE”
Des griefs que réfute l’élu d’opposition Pierre Jakubowicz, auprès de Marianne : « Je suis consterné.Nous sommes la première assemblée démocratique dans un État européen à refuser cette définition. Il s’agit de la définition officielle de l’antisémitisme retenue par 31 États, par l’Assemblée Nationale,le Parlement européen dont le siège est à Strasbourg, par le Conseil de Paris et la ville de Nice. À chaque fois qu’elle est proposée, elle est acceptée, à gauche comme à droite. »
Selon l’élu, « la ville de Strasbourg a besoin de cette définition car il y a eu ces derniers mois plusieurs actes antisémites notoires. Un graffeur employé par la ville et portant un t-shirt “I love Tel-Aviv” s’est fait violenté et a reçu des insultes antisémites. Après cela, il a fallu six jours pour que la ville réagisse et ce n’est qu’avec le dépôt d’une motion par le groupe socialiste que la majorité a accepté de prendre le dossier en main. Puis il y a eu l’affaire d’un livreur Deliveroo qui a refusé de prendre en charge des repas dans un restaurant juif. Or, pour lutter efficacement contre un mal, il faut savoir le définir. »
Selon lui, le véritable motif du refus de la majorité municipale trouve son explication ailleurs : « Il y a un certain malaise face à cette définition, liée au fait que certains membres de la majorité soutiennent ouvertement des associations de boycott à Israël comme BDS ».
Mais cette discorde a rapidement été éclipsée par une autre : la subvention de 2,5 millions d’euros accordée pour financer la construction de la mosquée Eyyub Sultan, portée par la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG). Elle a été votée à 42 voix contre 7, les groupes Faire ensemble Strasbourg (PS) et Strasbourg ensemble (LREM) ayant refusé de prendre part à ce vote.
Si le financement d’un lieu de culte par une mairie peut surprendre, le fait n’est pas nouveau en régime concordataire. L’Alsace et la Moselle, qui n’étaient pas françaises, mais allemandes, au moment du vote de la loi de 1905, conservent les dispositions du Concordat qui permettent à l’État et aux collectivités de financer les cultes. Ces 2,5 millions d’euros représentent environ 10 % du prix de l’édifice, une proportion qui n’est pas inhabituelle, toutes confessions religieuses confondues, dans les subventions publiques accordées en Alsace à la construction de lieux de culte.
“UNE SUBVENTION SANS GARANTIE”
En revanche, les liens de la CIMG avec la Turquie et son refus de signer la Charte des principes de l’islam de France posent question. Le conseiller municipal d’opposition Pierre Jakubowicz (du groupe Strasbourg ensemble, qui a refusé de prendre part au vote) regrette un « vote irresponsable qui met à mal plusieurs décennies de travail collectif. Il y a eu manquement à deux règles. Premièrement, la maire a proposé une subvention sur un projet déjà en cours, alors que la règle a toujours été de ne financer que des projets en préparation pour pouvoir avoir un contrôle en amont. Deuxièmement, la structure qui porte ce projet de mosquée fait partie des trois qui ont refusé de signer la Charte de l’islam de France, dans laquelle apparaissent notamment, le rejet de l’homophobie et du crime d’apostat, ainsi que la reconnaissance de l’égalité homme-femme. Il apparaît invraisemblable de pouvoir attribuer une subvention sans garantie d’adhésion à ces valeurs. »
Des éléments qui ont fait réagir le ministre de l’Intérieur. Lundi soir, Gérald Darmanin s’est fendu d’un tweet acerbe : « La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam de France et qui défend un islam politique. Vivement que tout le monde ouvre les yeux et que la loi séparatisme soit bientôt votée et promulguée ». Mardi en fin de matinée, le ministre de l’Intérieur a annoncé avoir demandé à la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier de saisir la justice administrative de cette délibération.
La maire de Strasbourg Jeanne Barseghian s’est défendue mardi dans une conférence de presse en affirmant qu’« avant le tweet publié ce matin par le ministre de l’Intérieur, l’État n’avait formulé jusqu’ici aucune contre-indication sur ce projet ni aucune alerte concernant les porteurs ». Une version démentie ce mercredi matin par le ministre de l’Intérieur qui, interviewé sur BFM TV, a évoqué une mise en garde de la préfète antérieure au vote et a souligné la volonté d’Ankara d’influencer les élections françaises.
CONSEILS MUNICIPAUX TENDUS
Auprès de Marianne, le conseiller municipal en charge des cultes Jean Werlen nie la version des faits donnée par le Ministre de l’Intérieur : « Nous rencontrons régulièrement les services préfectoraux, qui n’ont jamais sonné l’alerte sur ce projet de mosquée. J’ignore d’où viennent les informations du ministre, mais il doit y avoir confusion. Je n’ai jamais entendu parler de la moindre mise en garde. » Il s’étonne d’ailleurs de la virulence et de la soudaineté des oppositions, qu’il assimile à une « posture destinée à rassurer une frange de l’électorat » : « Visiblement, c’était un mot d’ordre de dernière minute. Ce projet de subvention est passé en commission plénière une semaine avant et il n’a été retenu par aucun groupe politique. La plupart des opposants d’aujourd’hui se sont d’ailleurs rendus soit à la pose de la première pierre soit à des fêtes organisées par cette association. »
La présence de ces deux polémiques, le jour d’un seul et même conseil municipal, tend à mettre en lumière la nouvelle ambiance qui s’est installée à la mairie de Strasbourg depuis les dernières élections municipales. « Depuis l’arrivée de la nouvelle majorité, tous les conseils sont très tendus », révèle Pierre Jakubowicz. Ces derniers mois, on assiste au conseil municipal à des degrés de tensions jamais vus. » Un exemple ? En février, lors d’une première tentative de l’opposition pour faire voter la définition de l’antisémitisme, « Nous nous sommes trouvés confrontés à la volonté d’obstruction de la maire, qui a coupé les micros à plusieurs reprises et s’est exclamée : “ça suffit, on n’en parlera pas”. Il y a eu deux suspensions de séances en une demi-heure, ce qui n’arrive jamais. » Et le mandat est loin d’être terminé…
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